ODILE
...le travail, la couture, la
danse, l'amitié et la
fidélité... malgré les
tribulations d'une vie difficile...
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« On était
une grande famille. Au début, nous étions 9
enfants mais deux sont décédés au bout
de 3 ou 4 mois. Moi, je suis la deuxième. La
première était au couvent. Il y avait un
garçon entre nous deux, qui est
décédé 3-4 mois après sa
naissance.
Annonce publicitaire parue dans la
revue "LA VIE EN
ALSACE", janvier 1939, n° 1
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Quand je suis
née, ma mère a
dit : « c'est encore une fille, donc je vais la
garder pour le travail à la
maison »... Nous
avions un magasin et une usine de chaussures
à Saverne. De là, nous sommes venus
à Strasbourg pour ouvrir deux magasins, un
de chaussures orthopédiques et un autre de
bottier de luxe.
Une autre fille, que
j'ai élevée, est née à
la déclaration de la guerre. Nous avons
dû évacuer Strasbourg et nous nous
sommes rendus à Périgueux. Nous y
avons trouvé une maison avec un magasin au
rez-de-chaussée. Donc, nous avons
logé au-dessus. J'avais presque 14 ans,
à cette époque. Là-bas, j'ai
dû élever ma petite soeur et faire le
ménage pendant que ma mère
travaillait au magasin.
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Mon père est
retourné en Alsace et a loué deux wagons pour
tout déménager à Périgueux, afin
de pouvoir y ouvrir le magasin.En chemin, il a
récupéré ma soeur aînée
qui vivait dans un couvent que les Allemands ont
fermé. Ma soeur, elle, a aidé ma mère
au magasin pendant que moi, j'élevais ma petite soeur
et accomplissais les tâches
ménagères.
En cherchant des ouvriers,
nous en avons retrouvé un qui travaillait auparavant
pour nous. Et comme, dans cette ville, nous étions
les seuls cordonniers, nous avions beaucoup de travail. Mais
comme nous n'étions pas assez nombreux, mon
père s'est rendu à la mairie pour demander si
des prisonniers voulaient travailler pour nous... Nous en
avons donc embauché deux.
En 1945, nous avons pu
retourner à Strasbourg, mais nous sommes
restés à Périgueux pendant deux
années encore, car il y avait beaucoup de travail sur
place. Par contre, mon père est rentré seul
à Strasbourg pour y retrouver un local. Pendant ce
temps, tous les garçons de la famille travaillaient
dans l'atelier. Notre ancien magasin existe toujours, mais
c'est devenu un restaurant.
Quelques années plus
tard, nous avons trouvé, au Heiritz, une maison,
autrefois occupée par une famille juive,
déportée dans un camp de concentration. On y a
vécu pendant 8 à 10 ans. Et puis un jour la
famille juive est revenue et a récupéré
sa maison. Alors mon père en a construit une grande,
toujours au Heiritz, avec un vaste magasin
devant...
Une année, les
allemands ont bombardé Strasbourg et la route du
Polygone fut complètement
« cassée »... En ville, "ils"
voulaient bombarder la cathédrale. Beaucoup de routes
furent détruites. Par la suite, la ville de
Strasbourg nous a donné un baraquement à la
Meinau. Nous y avons vécu assez longtemps. Mais nous
avions toujours le magasin en ville. Après ce
baraquement, nous avons occupé une nouvelle maison,
où nous sommes restés assez
longtemps.
Ma soeur aînée
s'est mariée et a mis au monde une petite fille, dont
je devins la marraine. C'est moi qui devais la bercer
pendant la nuit, car ma soeur ne se réveillait pas.
Et je devais faire encore plus de cuisine, pour son mari et
son bébé.
Je n'ai pas eu une enfance
très facile... Ma soeur et son mari trouvèrent
une maison quelques mois plus tard et
déménagèrent.
Nous travaillions beaucoup et
nous devions faire de plus en plus de chaussures
orthopédiques. Nous avons travaillé,
travaillé, travaillé...
En même temps que
cuisinière, j'étais cheftaine de JEC et je
devais emmener cinq filles à la messe, à peu
près tous les samedis ou tous les dimanches...
Ensuite, il fallait les ramener saines et sauves à la
maison.
Pendant ce temps, j'ai
rencontré un jeune homme, mais il était
protestant et comme moi j'étais catholique, ma
mère ne voulait pas que je l'épouse. Alors,
elle m'a surchargée de tâches
ménagères et donc je ne pouvais plus sortir.
Mais moi, je m'obstinais à vouloir me marier. Alors
ma mère a dit que ça allait mal finir... Puis
elle eut un accident assez grave en solex. On l'a
amputée des deux jambes : elle était donc en
chaise roulante. Comme elle ne pouvait plus travailler au
magasin, elle fit la cuisine à la maison. Mais ma
mère était encore plus sévère
qu'avant...
Mais quand elle eut son
accident, j'étais la première au courant et je
suis donc allée la visiter avec mon
« ami » : nous fûmes les premiers.
Alors, ma mère a demandé pardon à mon
ami. J'ai enfin eu le droit de me marier :
« avec ton
luthérien de protestant » avait dit ma mère. J'avais 26
ans.
Publicité 1947
A mon mariage, je
reçus une maison et nous y avons vécu
un an. Mais les gens de la mairie ne trouvaient pas
logique qu'un jeune couple vive dans une aussi
grande maison : ils nous donc ont expulsés.
Alors, après, il ne nous restait plus que ma
chambre, dans la maison paternelle.
Quand je suis
retournée chez mes parents, je devais faire
à manger pour mon mari qui travaillait.
Néanmoins, ma mère ne me laissait pas
cuisiner en paix... Alors je me suis mise à
la recherche d'un appartement. Mes beaux-parents,
avec lesquels je m'entendais très bien,
m'ont aidé à en trouver un. Mon mari,
un homme charmant, ne voulait pas que je travaille
tout de suite. Il m'avait dit :
« tu as assez
travaillé quand tu étais petite,
maintenant repose-toi ! »... Donc c'est ce que j'ai
fait. Pendant six mois, je n'ai plus
travaillé, mais je m'ennuyais. Je me suis
mise à la recherche d'un emploi. Quand
j'étais jeune, ma grand-mère m'avait
appris à coudre, ce qui m'a servi car j'ai
trouvé un travail dans la couture.
Et puis ma
mère mourut... Je cherchais papa tous les
dimanches pour l'emmener manger chez moi. Un jour,
papa tomba malade et je ne pouvais plus le
chercher... Un an après, il mourut.
Peut-être s'est-il donné
lui-même la mort, car il ne se nourrissait
plus.
J'ai vécu 16
ans de bonheur avec mon mari, mais un jour,
étant footballeur professionnel, il essaya
d'arrêter un coup franc : il se prit la balle
en plein dans l'estomac. A l'intérieur de
son corps, tout explosa, tout fut détruit.
Il mourut à 38 ans dans son sport
préféré. Quand on était
encore ensemble, je lui avais promis de lui rester
fidèle tout le reste de ma vie et je suis
toujours veuve. J'ai 77 ans maintenant. Quand il
mourut, j'en avais 44...
A 50 ans, j'ai
créé une association nommée le
« Cercle amical »... Elle dura 13 ans. Les
gens m'ont tellement appréciée que
même encore aujourd'hui ils me
téléphonent pour avoir des nouvelles.
Pour nos réunions, je cherchais des
restaurants avec des petites salles à
côté pour pouvoir faire nos
réunions au calme. Et tous les dimanches, je
les invitais à prendre un café mais
au bout d'un moment, à la maison, on
réclamait. Je suis heureuse, car cette
association a réussi !
J'ai dû
m'arrêter en 1998, pour des raisons de
santé... J'ai subi plusieurs
opérations...Ma vue baisse de plus en
plus... Un jour ou l'autre, je serai
aveugle. Ma soeur m'a placée dans un
foyer pour mal
voyants, mais je ne
supportais pas la nourriture et j'étais tout
le temps malade car rien ne me plaisait et surtout
pas la maison. (...) Alors, j'ai annoncé au
directeur que je voulais déménager...
Je me suis mise à la recherche d'une
nouvelle résidence et j'ai trouvé
celle-là : « le Bilstein ». Je pris le premier
appartement qui se libéra mais il devait
être complètement refait. Alors, au
début, je mangeais avec tous les autres
pensionnaires, dans le réfectoire principal,
au rez-de-chaussée.
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Publicité 1947
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Ensuite, je suis partie faire un
voyage avec « LES PETITS
FRERES DES PAUVRES »
à Lourdes et, à
mon retour, je me suis remise à faire la cuisine : je
mange seule à présent dans ma
chambre...
Cependant, malgré tous
mes malheurs, j'ai pratiqué la danse toute ma vie,
jusqu'à maintenant, et j'ai même
remporté des concours. De plus, c'est moi qui
fabriquais mes propres robes de bal : donc, elles
étaient uniques. Mon mari et moi, nous faisions
ensemble de la danse... Je n'avais pas que des mauvais
moments ! »
Souvenirs recueillis par J. et
C.
 
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