" Souvenirs,
souvenirs ... "
|
Nous nous sommes rendues à la maison de
retraite Saint Arbogast pour une "cueillette" de
souvenirs... Nous remercions vivement Madame H. de sa
gentillesse et de toute l'aide qu'elle nous a
apportée à cette occasion.
E&L : Parlez nous un peu de votre
enfance...
|
C.H : J'ai
été élevée dans la
campagne alsacienne avec mon frère
aîné. Mon père, droguiste, fut
mobilisé pendant la guerre de 14-18. Ma
mère, quant à elle, est
décédée dans mes jeunes
années... je devais avoir environ 3 ans. Je
garde de cette époque le souvenir des
"gens de la
ville" qui
venaient s'approvisionner à la ferme en
oeufs, beurre et autres denrées qu'il
était difficile d'obtenir en centre ville.
Ils cousaient généralement dans leurs
manteaux de grandes poches pour pouvoir y cacher
leurs victuailles : beaucoup avaient peur que les
Allemands ne les leur confisquent. De toute
façon, c'était peine perdue, car
toutes les personnes étaient
fouillées à l'arrivée du train
en gare. ( Sourire
) Le marché
noir était très surveillé. Et
puis, après l'armistice, nous sommes
retournés vivre à
Strasbourg.
|
E&L : Quel est votre plus mauvais souvenir
de ce temps ?
CH : Eh bien ... Je devais baratter le beurre
avec mon frère : il s'agissait de secouer un pot de
lait fermé de plus en plus en fort pour pouvoir
récupérer les petits morceaux jaune
doré, remontés à la surface.
Hélas, nous finissions surtout avec des crampes
douloureuses aux bras...
E&L : Et le plus beau
?
C.H : J'imagine toutes les
fêtes, particulièrement celle de
Noël , qui
m'a marquée avec son sapin. Je recevais alors
en cadeau des tabliers neufs, des robes, toujours
quelque chose d'utile. Mais le plus beau
présent qu'on m'ait offert, tout du moins
celui qui m'a le plus étonné, ce fut
un fruit considéré comme exotique
à cette date : une mandarine... Je lui
trouvais une saveur amère dont il me reste
même aujourd'hui le goût en bouche.
E&L : Qu'aviez- vous pour
jouer ?
C .H : Oh, je ne possédais pas
vraiment beaucoup de jouets : je me rappelle
notamment une poupée au corps de porcelaine.
Le seul problème, c'est qu'elle était
très fragile, il ne fallait surtout pas la
briser !
E&L : A propos de
l'école, où s'est
déroulée votre scolarité
?
C.H : J'ai commencé
l'école à 6 ans, à
l'École des Dragons à
Strasbourg, ce qui correspondrait
aujourd'hui au cycle primaire. J'ai poursuivi avec
deux années de collège, puis ma
famille n'a plus jugé nécessaire que
je poursuive mon instruction. Du coup, j'ai perdu
de vue mes anciennes camarades de classe.
|
|
E&L: Quelles langues y
avez-vous apprises ?
C.H : A la maison, nous parlions tous
le dialecte alsacien... Ce n'est qu'au cours de mes
études que j'ai appris le français.
Je ris encore de ma première
"leçon": nous étions assis
dans la mairie et un capitaine français
avait pour charge de nous l'enseigner. Il nous
faisait répéter successivement : "la
v-a-c-h-e, la vache", "le b-o-e-u-f, le boeuf",
"f-e-r-m-e la p-o-r-t-e, ferme la porte "...
E&L : Durant votre
adolescence, aviez-vous le droit de sortir, vous
amuser le soir ?
CH : Certes non... Une fois, mon
frère a voulu m'emmener danser en ville.
Ravie, je me suis préparée pour
partir. Mais lorsque mon père m'a vue, il
s'est fâché et m'a ordonné de
remonter immédiatement dans ma chambre pour
me déshabiller. Pour lui, il était
hors de question que je sorte !
E&L: Qu'avez-vous fait, une
fois vos études achevées ?
C.H : On m'a d'abord employée
comme aide dans le commerce familial, après
quoi je me suis mariée : j'avais seulement
21 ans et demie. Mon jeune mari a
débuté en tant que
délégué médical, puis
lui-même a ouvert sa propre droguerie. La vie
a continué et nous avons eu deux filles,
quand en 1939 la deuxième guerre mondiale a
éclaté, et mon époux a
été mobilisé sur le front.
|
Publicité 1947
|
Photo Pléiade / Marché
aux Puces de Strasbourg
|
E&L: Etes-vous partie
?
CH: Oui, comme beaucoup de
Français, j'ai fui la zone occupée
avec mes enfants en direction de Marseille.
C'était en 1942. Nous habitions au premier
étage d'une maison à
côté de la centrale électrique.
Nous vivions sous les bombardements de la ville,
mais le problème du ravitaillement
était aussi très difficile à
supporter : nous avions droit à un kilo de
pommes de terre par mois, tous les quinze jours,
à quatre-vingt dix grammes de viande, et
à un quart de lait pour ma deuxième
fille qui n'était qu'un nourrisson.
Cependant, pour la nourrir correctement, j'ai
dû l'allaiter jusqu'à quatorze
mois.
Ensuite nous sommes parties à
Hautefort, en Dordogne. Nous y avons
vécu parfois de drôles de
situations... Je me souviens, à ce sujet,
d'une anecdote particulièrement poignante.
Un jour, je suis tombée malade. J'ai
demandé à mon aînée
d'aller chercher un médecin. Pendant ce
temps, des maquisards se sont installés au
village. Seulement les Allemands avaient
été prévenus par je ne sais
qui et ils ont encerclé le hameau, à
la recherche des contestataires. Heureusement, les
autres avaient eu le temps de fuir. Mais moi, je me
suis retrouvée avec, devant ma porte, des
soldats prêts à tirer. C'est à
cet instant que ma fille est revenue...
Coincée entre un mur et des hommes
armés, ça a été une de
mes plus grandes frayeurs !
E&L : Et vous n'aviez plus de
nouvelles de votre mari ?
CH : Presque plus, car il
était tellement difficile d'envoyer des
lettres. Elles passaient souvent par la zone libre,
sinon via la Suisse. Il était
impossible de savoir ce qu'elles devenaient, et il
n'était pas rare d'en recevoir avec de longs
mois de retard.
|
E&L : Que s'est-il passé, une
fois l'armistice signée ?
CH : Après être rentrés en
Alsace, nous avons petit à petit reconstruit notre
vie. Il fallait tout recommencer sur de nouvelles bases.
Nous avons pris un commerce et nous travaillions très
dur, tous les jours, excepté le dimanche.
E&L : Que faisiez vous pour
vous divertir ?
CH : L'important était de
réussir pour donner un meilleur avenir aux
enfants. Alors, notre seul moment de détente
dans la semaine, c'était la promenade du
dimanche, en famille. Certaines soirées, mon
mari et moi allions au théâtre
alsacien ou au cinéma. Lors des
périodes de congés, (qui
n'étaient pas nombreuses), nous partions en
vacances dans les Vosges, en voiture.
D'ailleurs, notre première automobile fut
une Citroën,
achetée en 1952. Quant à la télévision,
nous avons attendu 1965, c'est à dire la fin
des études de nos enfants, pour en faire
l'acquisition.
E&L : Enfin, y a-t-il une
invention qui vous ait particulièrement
marquée ?
CH : Celle d'un nouveau
médicament : l'aspirine...
Souvenirs recueillis par E. et
L.
|
|
|