Rencontre
collective
Les souvenirs, un patrimoine unique
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M et L rencontrent huit pensionnaires de la
maison de retraite Les
Pâquerettes, à Schiltigheim... Tout le monde est
réuni autour d'une même table...
La mémoire est un trésor.
Elle vous suit toute une vie, partout, à chaque
instant. Peut-être garde-t-elle encore plus les
moments intenses et délicats que les peines, les
souvenirs de gloire et de victoire plutôt que les
deuils. Elle chante la vie, simplement, elle narre aventures
et déboires, elle transmet aux nouvelles
générations les richesses du
passé.
Elle est un outil inestimable, pour qui
sait l'utiliser.
C'est ce qu'ont compris les huits femmes et
hommes qui ont répondu présents à notre
appel, le temps d'une matinée, et qui se sont
replongés dans leur longue expérience afin de
nous relater leurs plus marquants souvenirs... Après
une brève présentation de notre projet -
rédiger un recueil de souvenirs , nos
aînés prirent la parole , à tour de
rôle...
La place de l'objet dans le souvenir... La bague,
l'anneau, l'alliance...
LES AVENTURES D'UNE BAGUE... et de
son propriétaire...
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"J'habitais à Stutzheim, où l'on
avait une maison individuelle, avec un très grand
parc. Un jour, en tondant le gazon, j'ai perdu mon alliance.
Le soir, quand je suis rentré, je m'en suis
aperçu... Comment retrouver une alliance dans un
terrain aussi grand et aussi vaste ? J'ai dit à mon
épouse ( désignant celle-ci de la
tête ): "Je ne sais pas quoi faire... je... je
vais m'adresser à Saint Antoine." Alors je me suis
couché et, dans la nuit, Saint Antoine m'a dit :
"Là, tu trouveras la bague." Le lendemain matin,
quand je me suis levé, j'ai annoncé : "Je sais
où est la bague... hein ?"... ( le narrateur
désigne à nouveau son épouse qui rit...
et répond : " Oui, oui, hmm..." ) Je suis sorti
dans le jardin pour me rendre à la place
indiquée et j'ai ramassé la bague. ( Je
prends quelques notes. Voyant que nous sommes
intriguées, il nous propose une deuxième
histoire avec la même alliance, après avoir
fait passer fièrement une photo de son jardin
).
( Avec un grand sourire )..."
J'étais incorporé de force dans les
armées allemandes. Alors, on allait en Russie et on
revenait en Allemagne, et à l'endroit où l'on
se croisait, les rails des Allemands étaient
relayés par ceux des Russes, beaucoup plus larges...
c'était à...
réfléchissant... puis, sans plus
aucune hésitation... Breslitovská ! Un
jour, étant blessé, j'ai eu une permission :
j' ai donc repassé par là. Je m'y suis
également lavé : tous les soldats, qui
revenaient de Russie et d'autres endroits se retrouvaient au
seul point d'eau où l'on pouvait se laver les mains !
... ce que j'ai donc fait... J'ai alors constaté que
j'avais encore une fois perdu l'alliance... (
amusé )... Je suis retourné au wagon et
j'ai commencé à chercher dans la paille, en
vain. Alors le lieutenant est venu me demander : "qu'est-ce
que tu cherches ?"... J'ai répondu : "mon alliance"
... Puis ( en mimant ) le lieutenant a sifflé
toute la compagnie qui est venue et on a tous cherché
ma bague, mais on ne l'a pas trouvée ! Alors on s'est
couché, on est allé dormir et, le matin, vers
quatre ou cinq heures, j'entends quelqu'un frapper à
la porte du wagon. Le visiteur demande : "qu'est-ce qu'il y
avait hier soir, pour que toute la compagnie soit là,
à chercher quelque chose ?"... L'un de nous lui ayant
répondu qu'un soldat avait perdu son alliance, il
ajoute : "c'est celle-là ?" ( Toute
l'assemblée est médusée... ) En
fait , il s'était passé la chose suivante :
à l'endroit où on se lavait, l'eau
était sale... Lorsque tout le monde eut fini la
toilette, après dix heures, la saleté est
descendue. Et la bague, qui était jaune, brillait
dans l'eau décantée...
Alors j'ai demandé au visiteur quelle
récompense il désirait. Il m'a dit : "est-ce
que tu es heureux dans ton mariage ?" J'ai dit : "oui". "Eh
bien, souhaite-moi la même chose !" ( Et la
tablée s'esclaffe... Heureusement que l'histoire se
termine bien. Mais... )
Je peux encore raconter une histoire à
propos de cette bague ! ( Nous nous taisons,
impressionnés... ) J'étais, avec d'autres,
prisonnier des Canadiens, qui nous ont pris toutes nos
affaires : livrets militaires, tout ce qu'on avait, et il
fallait le mettre par terre, devant eux. Les bagues, tout,
tout ! ... Levant la main ... Les Canadiens, hein,
c'étaient des étudiants. Ils nous ont dit de
nous mettre en rangs, et j'ai vu que les soldats ramassaient
tout ça pour l'empocher ! Alors moi je me suis
précipité sur mes affaires, j'ai pris ma
bague, ma montre et tout... et ( en insistant )
heureusement qu'un lieutenant est passé par
là, sans ça ils m'auraient fusillé,
parce que j'avais repris mes affaires, et je ne serais plus
là... Il a demandé ce qui se passait... Moi,
j'ai dit : "on m'a pris mon livret militaire et mes
affaires. Je pense que les Canadiens sont des hommes
civilisés, alors je ne vois pas pourquoi ils nous
prennent ces affaires ! "... Et il a sanctionné le
militaire responsable. Heureusement qu'on est partis la nuit
suivante dans un autre camp de prisonniers, sans ça
je ne sais pas ce qu'ils auraient fait de moi...
pensif ... Voilà, c'était la
troisième affaire avec la bague !"... A nouveau,
la tablée soupire de soulagement... Puis, fier
d'avoir allumé toutes ces petites étincelles
dans nos yeux, il laisse la parole aux autres
pensionnaires...
Les souvenirs suivants, pour leur part,
sont plus simples dans la forme, mais tout aussi marquants
dans le fond...
LA GRANDE
LESSIVE
" Dans le temps, il n'y avait pas de machines
à laver, mais des lavoirs, établis à la
Petite France. Ils étaient au nombre de cinq ou six.
Tout le monde s'y rencontrait pour laver son linge. Et la
foule chantait en choeur, riait, s'amusait..."
TRADITIONS, FÊTES
et CADEAUX
"Une des traditions , en Alsace, était
de grimper tout en haut de la cathédrale de
Strasbourg, pour admirer la ville, lors de la communion des
jeunes. Chaque fille ou garçon devait monter sur la
plate - forme de la cathédrale pour pouvoir
être confirmé.
A ma première communion, je
reçus un rosaire, un livre de messe, des crayons, une
plume et une règle. A l'époque, on offrait des
cadeaux utilitaires. Et on n'avait pas le courage de
demander à nos parents un cadeau précis. De
toute manière, on n'y pensait même pas.
En 1920, les oranges étaient des fruits
rares. C'est pour cela qu'à Noël, on en recevait
souvent, avec, parfois, des chocolats. Et puis au Nouvel An,
si on avait acheté 12 oranges et autre chose chez
l'épicier, il nous en offrait une treizième
pour nous remercier d'avoir été clients chez
lui toute l'année.
Le mariage à la campagne était
grandiose ! Tout le village se rassemblait à
l'occasion de cette grande fête. Le repas était
énorme et les restes duraient une semaine tellement
les différents plats étaient nombreux et
copieux. En fait, le village entier était une
famille, une vraie. Tout le monde s'entraidait... Personne
ne se haïssait. Lorsqu'un de mes voisins était
plus riche que nous, ça m'était égal...
Je n'étais pas jaloux du tout.
Il y avait aussi le bal des conscrits. Les
jeunes de 18 ans qui allaient entrer dans l'armée
fêtaient cet événement. Ils passaient de
maison en maison et on leur donnait du pain, de la farine,
des Šufs ou des fruits. Avec tout ce qu'ils avaient
reçu, ils préparaient eux-mêmes leur
fête, animée par un orchestre et à
laquelle tout le village était convié. Il
fallait demander aux filles l'autorisation de danser avec
elles. Et si leurs parents étaient présents,
il fallait d'abord s'adresser à eux !"
L'EDUCATION
"Les parents fournissaient une
éducation plus stricte à leurs enfants. Et je
pense que c'est pour cela que tout le monde, y compris les
gens issus de la basse société, est
arrivé à quelque chose dans la vie.
La mère était à la maison
pour éduquer les enfants, qui étaient tous
bien élevés. De nos jours, les deux parents
travaillent, donc ils n'ont plus le temps d'éduquer
leurs enfants correctement... Et puis, aujourd'hui, il n'y a
plus de communication dans les familles. En conclusion,
à mon époque, c'étaient les parents qui
éduquaient les enfants. De nos jours, ce sont les
enfants qui éduquent les parents...
A l'âge de 14 ans, je venais de terminer
mes études à l'école de l'Ill : j'ai eu
mon certificat d'étude et le "complémentaire".
Et avec ça, vous pouviez presque tout faire, exercer
presque tous les métiers."
RIVALITÉ
SENTIMENTALE
Je vais vous raconter une petite histoire :
dans mon village, il y avait un Franz et un
Robert. Tous les deux voulaient la
Philomène. Alors, un jour, ils se sont
bagarrés. Et Franz s'est retrouvé
à l'hôpital pour se faire recoudre. Tout
à coup, le médecin a ri.
" Pourquoi riez-vous donc ?
- Il faut bien que je rigole : j'ai la
moitié de votre " spatz " dans la main ! "
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