Une vie simple et
laborieuse
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Nous sommes allés
interroger Lucie sur ses souvenirs d'enfance, un soir,
après les cours, accompagnés d'une personne
qui la connaît depuis longtemps et lui rend
régulièrement visite pour la sortir de sa
solitude, dans le cadre de son bénévolat parmi
les Amis des petits frères des Pauvres ...
A presque quatre-vingt-douze
ans, Lucie nous a confié son passé...
Lucie est née dans le
Kochersberg , à Willgotheim , le 29 Juillet 1913,
dans la ferme de ses parents. Du côté de son
enfance, elle ne se souvient pas de grand-chose... Elle se
rappelle juste sa scolarisation chez les soeurs du village
qui avaient, paraît-il, des préjugés sur
les enfants : " ça
n'était pas facile, à
l'école..." . Elle se
souvient aussi de la fois où des poux avaient fait
leur apparition à l'école :
"avec mes cheveux
frisés, ça n'a pas été facile,
vous savez ! " dit-elle en
souriant. A l'école, les soeurs ne parlaient que
l'allemand, donc le français était peu
pratiqué et le village était si reculé
que, pour passer le certificat d'études,
c'étaient le maire et ses adjoints qui faisaient
office de jury.
Elle quitta l'école
à douze ans pour aller avec sa soeur à Lagny,
en Seine-et-Marne . Là, elle s'occupa, durant trois
ans, des enfants d'une riche américaine, deux filles
et un garçon, tous trois sympathiques... Elle
n'était pas traitée comme une domestique.
"Nous n'étions pas
traités comme des domestiques : ils étaient
très gentils avec nous. J'ai même failli aller
en Amérique... Peut-être même serais-je
devenue américaine...".
Malheureusement son
père lui interdit de partir et elle revint à
la ferme familiale, où elle aida aux travaux des
champs, comme la récolte des patates, des betteraves,
du houblon, du tabac ou alors les vendanges. Mais son
père, dont elle se souvient comme d'un homme
très sympathique, ne voulait pas qu'elle participe
aux travaux les plus difficiles. Il possédait une
grande ferme avec beaucoup de terrains et de nombreuses
cultures différentes. Mais il ne faisait pas les
groseilles. " Si j'ai pris une cuite dans ma vie, c'est bien
avec du vin de groseilles que notre voisin nous avait
apporté, mais plus jamais ça ne m'arrivera...
Je ne me sentais vraiment pas bien après. " Pendant
les vendanges, elle emmenait faire paître les
bêtes et elle lisait des livres de Hervé Bazin
et de Henri Bordeaux, qui étaient ses deux auteurs
préférés.
" Je me souviens des nuits d'hiver où l'on
regardait les étoiles, allongés dans la neige,
et aussi les soirs de Noël... C'était si
beau... ", nous confie-t-elle,
toute émue.
Lucie se souvient du sapin de
Noël , décoré très simplement avec
des noix entourées de papier d'aluminium, des jeux
organisés le soir de Noël, comme la marelle et
les dames. Puis tout le monde se mettait à genoux et
priait avec un chapelet, avant de se rendre à la
Messe de Minuit .
Pendant que tout le monde
était à la messe, les pompiers faisaient des
rondes dans le village pour éviter tous les
incendies. "On rentrait et on réveillait les
bêtes pour faire un maximum de bruit, puis on allait
prendre des boissons chaudes pour se réchauffer, vin
chaud pour les parents et chocolat pour les enfants... On
avait aussi droit à des bredele et à des
confitures ."
Le lendemain matin, les
enfants recevaient les cadeaux qui étaient
relativement modestes... "
Mais à l'époque, on se contentait de peu
", nous dit-elle. Pendant la
période de Noël, un vieil homme passait de
village en village et s'arrêtait dans les maisons pour
raconter des histoires qui faisaient peur : "
c'était notre
spectacle... A l'époque, on n'avait pas la
télé..."
.
Lucie se souvient aussi des
sorties à vélo avec ses soeurs et ses amies :
elles grimpaient vers le mont saint Odile , ce qui n'est pas
une montée à la portée de tout le
monde... C'était sa manière à elle de
voyager...
Elle se marie à vingt
ans et met au monde assez rapidement une fille. Puis c'est
la guerre : elle se réfugie avec sa fille au Cap
d'Agde où elle attend son mari retenu pendant six ans
dans les camps de prisonniers en Allemagne ... Elle se
souvient des bombardements incessants sur la région
où elle réside alors et de la
difficulté de s'en sortir, seule, avec sa fille.
Après la guerre, elle
retrouve son mari et a de nouveau une petite fille, mais ce
bonheur est de courte durée car son mari a un
accident de voiture : la colonne vertébrale
brisée, il meurt à trente-deux ans.
Elle doit travailler dur pour
nourrir ses deux filles : elle nettoie les bureaux et
distribue les journaux pour gagner suffisamment d'argent.
Quand ses enfants ont enfin l'âge d'aller à la
garderie, elle cherche un autre emploi et devient
réceptionniste aux Grandes Galeries, à
Strasbourg. Elle mène alors une vie sans beaucoup de
rebondissements, entre son travail et ses enfants... C'est
le train-train habituel. A sa retraite, elle tricote
beaucoup et s'installe dans une maison de retraite où
elle coule des jours heureux, malgré l'ennui, qu'elle
combat par la lecture, qui est depuis toujours sa grande
passion...
Souvenirs recueillis par A
et M
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