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"Je me laissais pas faire !..."

Souvenirs de Mme St.

Afin de collecter des souvenirs, nous nous sommes rendues à la maison de retraite Saint Arbogast pour y rencontrer Mme St. ...C'est une femme souriante et pleine de vie qui nous a reçues...

« Je me laissais pas faire ! Bon alors, c'est bien... qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?!

En sortant de l'école, j'avais une maman malade, alors je l'assistais pour tout. Quand j'ai grandi, maman est décédée, Papa était seul. Alors moi, je suis entrée à l'école des infirmières et là, c'était bien, je me plaisais. Et après l'examen, je suis entrée à l'hôpital civil comme infirmière et là, c'était la belle vie malgré les malades. J'étais pas là pour la guerre et les allemands... et là, ça n'allait pas très bien... J'avais déjà 30 ans... J'avais une soeur à Paris et j'ai dit à Papa « Moi, je vais à Paris! »... et me voilà à Paris ! Et, figurez-vous, il fallait travailler... Alors j'ai dit à ma soeur : « Occupe-toi de me trouver un travail ! »... C'était difficile car il y avait aussi les Allemands à Paris, mais dans les hôpitaux, et alors elle m'a trouvé une place comme nurse chez des gens... Alors vous voyez, c'était bien. Mais enfin, ensuite... attendez voir... ensuite, j'avais une amie qui était restée chez nous pour s'occuper de Papa et ainsi de suite, et alors elle m'a dit... On correspondait et on avait peur que les Allemands ouvrent notre courrier, surtout la correspondance qui allait de Paris à Strasbourg ou alors de Strasbourg à Paris... Alors, on allait chez les cheminots pour leur donner nos lettres. Si c'était une combine !...


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Un jour, mon amie m'a dit : « écoute, tu ferais mieux de rentrer car ton père ne va pas bien »... Alors je suis rentrée, à 6h du matin. Le train arrivé, j'ai pris le tram - il y avait des trams pour aller là où on habitait, à Graffenstaden - et alors il y avait des ouvriers qui allaient à l'usine. Quand le contrôleur est venu, j'ai voulu lui donner une pièce et il m'a dit : « que voulez-vous que j'en fasse ? ». Il voulait pas une pièce française, vous pensez bien ! Alors qu'est-ce que vous voulez ? J'ai dit bonjour, mais pas en alsacien... et j'ai ajouté : « Je viens de Paris. » Alors, quand les ouvriers ont entendu ça, tout le monde voulait savoir ce qui se passait à Paris. Alors j'ai dit : « oui, on avait faim ( en fait, moi j'avais pas faim ) oui, on meurt de faim à Paris »... Et enfin je leur ai raconté tout ce que je savais.

Bon, on arrive... Je rentre chez moi. Mon père me dit : «  qu'est-ce que tu veux faire ici ? Pourquoi tu rentres ? ». Oh, j'étais bien reçue ! Je pensais qu'il m'ouvrirait les bras, eh bien non ! Alors j'ai dit : « mais Antoinette m'a dit que je devais rentrer...

- Oh, on peut me soigner sans toi ! ». Qu'allais-je faire ? Vous savez, ce sont des choses qui restentŠ Alors il dit : « Va à l'hôpital pour demander si on te prend de nouveau ». Je les connaissais tous, là-bas, parce que j'y ai quand même travaillé plusieurs années... :

« Ouvrez-moi ce guichet ! » ai-je demandé à l'entrée de l'hôpital...

Un anglais me répliqua : «  vous connaissez l'alsacien ?

-  Un peu... »

Alors il me dit : « ça, c'est pas un guichet, dass ist ein Schalter ! » Il m'a parlé en alsacien. J'étais pas encore convertie. Il ouvre donc son guichet, et sur son bureau il y avait la photo d'Hitler. « Mon Dieu, vous avez un Hitler ! » Il me dit : « ça c'est pas Hitler, c'est notre Führer. » Alors quand je suis rentrée à midi, je l'ai raconté à Papa , qui m'a répondu : « Tu vas nous faire envoyer tous les deux à Schirmeck ! »... Schirmeck est un camp de concentration.

Entrée du camp de concentration de Schirmeck...

Ensuite, on m'a embauchée et j'ai dû travailler avec les Allemands... Enfin arriva la Libération et là c'était la fête, mais non mais c'est vrai ! C'était ça ! Je n'ai pas tout approuvé... Les Allemands, on les a mis -si vous connaissez l'hôpital- tout le long du mur et moi j'ai travaillé au bureau pas comme infirmière, car je n'avais pas le diplôme allemand... J'étais diplômée française... Alors on était tous là, sous les fenêtres, à regarder. Moi, j'ai trouvé ça affreux. On était contents qu'ils partent, naturellement. C'était une période terrible.

Après, c'était la délivrance. On était contents, on a fait la fête. Et puis après, mon père est mort, et moi je suis restée à l'hôpital jusqu'à ma pension, à l'âge de 60 ans. Alors j'ai pris ma pension et je me suis installée, place de la Grande Boucherie, vis-à-vis du Musée historique. Ensuite je me suis engagée à la Légion de Marie et on a fait des visites à des personnes. C'était bien, mais on a trouvé beaucoup de misère...

Ci-contre, le général de Gaulle saluant la foule à Mulhouse le 13 février 1945...

J'ai beaucoup travaillé comme ça, bénévolement. J'avais une bonne pension, ça, je pouvais vivre! La propriétaire, là où j'habitais, vit encore ; elle a déménagé. Tous les appartements ont été vendus et elle, elle habite à Koenigshoffen. De temps en temps, on se voit, pas beaucoup mais enfin... on raconte la lecture, c'est presque une amie, une amie fidèle. Et alors avec l'âge, on a beaucoup de connaissances ! Tout le monde est déjà parti, le vide se fait autour de nous. Mais j'ai un caractère qui s'adapte, vous savez : l'ennui, le vide...

Je suis une femme heureuse, ça fait neuf ans que je suis ici, vous voyez... Il y a des gens qui ont une petite vie tranquille, comme ça, entre leur mari et leurs enfants et ça leur coûte de venir en maison de retraite... Moi, ça m'a pas coûté. Vous savez, quand on doit partager la chambre avec quelqu'un qu'on ne connaît pas... Enfin, j'ai accepté jusqu'à ce qu'il y ait une chambre de libre et il s'est trouvé que je m'y sentais bien. Cette personne qui partageait ma chambre, je ne la connaissais pas depuis une heure que déjà je lui avais raconté toute ma vie. Aujourd'hui, elle vit encore, en chaise roulante et je m'occupe d'elle ! On rigole bien parfois ! J'ai une chambre, elle a une chambre, mais enfin on est toujours en contact, on se voit. Ici, on peut avoir beaucoup de compagnie. Il y a des gens qui préfèrent être seuls.

Mais aussi parfois je sors, j'en profite, il y a beaucoup de divertissements. On rit parfois à table mais c'est très éphémère. On se souvient de choses exceptionnelles, terribles... Ici, quelques personnes sont déprimées, je les plains. Elles sont malheureuses, tristes de caractère. Moi, je ne suis pas malheureuse.

Maintenant, je vais tous les matins à la messe ( je suis catholique ). En ce moment, c'est au séminaire que je me rends. J'y prends le petit déjeuner à 8h, puis il y a une messe à 9h. Après cela, je fais les courses. L'après-midi, je fais la sieste en été. A 18h, on dîne .Parfois une nièce de Paris (3-4 fois par an) vient me rendre visite. Elle a 72 ans. Je lui dis : « Tu sais, tu es encore très jeune à côté de moi ! »

J'ai une autre nièce qui vient de la Loire-Atlantique... ça, c'est un peu loin. Elle vient parfois avec son petit-fils pour la foire de Noël.

Noël, autrefois, c'était la fête. On préparait le sapin. J'allais à la Messe de minuit, et on fêtait le réveillon le lendemain. On fêtait, on adorait Noël. Maman était une super cuisinière. Elle me disait : « écoute, prépare la table, tu m'ennuies à la cuisine !  ». Moi, je n'étais pas une bonne cuisinière avant l'hôpital. Maman, par contre... Maintenant, je trouve que l'on ne fête plus Noël comme autrefois.

Quand j'étais petite, je faisais du violon. J'aimais aussi le théâtre, pas le cinéma. (...) Je faisais partie d'une chorale, mes amis avaient 13,14 ou 15 ans. Un soir, mon père m'a cherchée à la fin d'une répétition : « je ne veux pas que tu rentres le soir seule.

-  Mais on est toute une bande... Je ne vais plus aux répétitions si tu me cherches. » Alors, j'ai arrêté.

Oh... Je pense que les jeunes de maintenant ne font pas attention aux personnes âgées... Ce sont les jeunes ! Quand j'étais jeune moi-même, mon père me disait: « Vous vous promenez tout le temps, et Justine ?

- Tu n'y penses pas, cette vieille ?! »

Maintenant, je suis âgée à mon tour. J'ai changé d'opinion. » 

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