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Impressions alsaciennes, puisées dans une lettre envoyée par une habitante de Dorlisheim, le 8 janvier 1945, à son frère et à sa famille, repliés sur Clermont-Ferrant avec l'Université de Strasbourg...

"Vous faire ici le récit du cauchemar de ces quatre dernières années ? Je le ferai brièvement, en attendant de pouvoir en raconter de vive voix les détails. En général, nous, Alsaciens, nous restions Français et fortement Français, bornés à bercer dans nos coeurs le grand espoir, et si l'attente fut longue, elle ne fut pas vaine. Dans les bureaux et les fabriques, impulsivement, on commentait nouvelle sur nouvelle...(...) Enfin, il y a eu le 6 juin puis, plus tard, Paris libéré, Nancy, Epinal, Belfort - nous perdions le souffle... et plus les chasseurs venaient mitrailler, plus nos coeurs gagnaient de l'espoir... Evidemment deux raids sur Strasbourg ont fait souffrir cette dernière : il y a beaucoup de ruines et on déplore des morts parmi ceux qui eux aussi attendaient... (...) Nous ne sommes pas encore hors de danger, mais nous avons confiance. Le hasard a voulu nous épargner la moindre égratignure...

Moi-même j'ai vu venir les Américains, le 26 novembre, le soir, à 5 heures. Les cloches sonnaient, je ne peux dire l'émotion, l'on tremblait, pleurait, riait, criait, nous disions merci et je m'appliquais à bredouiller mon petit savoir d'anglais... (...) Que je n'oublie pas de dire que chaque maison était pavoisée, que chacun portait la cocarde hâtivement faite et que les bérets basques sortaient comme de dessous la terre..."

 

 

G. C., l'auteure des lignes précédentes, vit toujours, dans une maison de retraite de la région de Molsheim...

Ci-dessous, un autre extrait de lettre - mais celle-ci a été rédigée par F. C., le père de G., puis expédiée , elle aussi, en Auvergne, depuis Rothau ( Vallée de la Bruche ), le 5 décembre 1944...

"Enfin, ça y est : nous sommes libérés. Etes-vous encore en vie ? Nous espérons que oui et que vous allez tous bien malgré les épreuves. Nous profitons de ce premier départ d'un courrier spécial pour faire parvenir quelques nouvelles. Nous allons bien tous les trois. Comme les communications par la poste et le chemin de fer sont coupées, nous sommes sans nouvelles de G. ( la correspondante ci-dessus...) qui travaillait comme comptable à Molsheim, mais nous la supposons dans une famille amie de Dorlisheim car, quand elle nous a quittés il y a trois semaines, elle nous a dit que c'est là qu'elle irait. Nous avons eu la chance d'être épargnés car il ne manque pas une tuile ni une vitre et cependant les bombes de la grosse artillerie allemande passaient en sifflant au-dessus de nous. Mais à Rothau, il y a beaucoup de dégâts, des toitures enlevées, des maisons en partie détruites... L'Hôtel de l'Espérance est presque complètement anéanti, la boucherie Ackermann a son toit effondré et sa maison arrière brûlée. Tous les vitraux de l'église sont cassés, une maison de la rue principale s'est écroulée, une autre présente un trou énorme causé par un obus et sur toute la rue les vitres ont volé en éclats. 3 morts. A Labroque, le clocher, le portail et les vitraux sont dévastés. L'imprimerie Girault, à Schirmeck, a été rasée ( 5 morts ). Par bonheur le départ des Allemands s'est passé trop vite pour leur laisser le temps de nous évacuer et de piller les maisons comme ils l'ont fait de l'autre côté de Saales.... Les Américains sont arrivés d'abord par la forêt. Ils ont été très chics envers nous.

Voilà en quelques lignes les faits qui ont eu lieu dans notre voisinage immédiat, mais plus en avant dans la plaine, à Urmatt et au-delà, les pertes sont énormes. Vers Strasbourg, ça a été dur et, d'après ce qu'on dit, les Allemands tirent sur la ville, enfin nous ne le savons pas car on dit tant de choses... G., de Pfaffenhoffen, a été emmené en Allemagne avec sa femme, sa fille et le plus jeune, à cause du départ des garçons, et on a mis des Bombardés allemands dans leur maison. (...) Quelle situation !"

Extrait d'une autre lettre, expédiée à Clermont-Ferrant par le père de G. , quelque temps plus tard...

"D'après ce que nous savons, "Schillig" n'a pas été bombardé ou bien peu, mais il y avait aussi les nombreuses alertes qui obligeaient les gens à passer des heures et des heures dans les caves (...) Que vont devenir tous ces jeunes garçons de 16 ans et aussi de toutes jeunes filles que les Allemands ont encore fait partir pour creuser des tranchées deux jours avant leur débâcle ?

Maintenant l'Alsace est libérée et depuis deux jours nous ne percevons plus le canon. Mais pendant assez longtemps il a fait rage dans la région d'Ingwiller, de Mertzwiller et entre Neubourg et Schweighouse, il y avait de rudes combats sur les bords de la Moder et dans la Forêt que vous connaissez. Haguenau, la jolie ville, a beaucoup souffert. Gambsheim, le village de Henninger et de Hawecker, est rasé, et presque tous les villages le long du Rhin sont par terre. C'est un réfugié de Drusenheim qui nous a dit cela. Saint-Dié, sauf quelques maisons, est par terre, Gérardmer complètement, enfin c'est épouvantable quand on pense qu'en plein hiver les habitants errent par un froid très vif dans les campagnes pour trouver un abri. Dans certains villages des Vosges, les Allemands chassaient les habitants vers les lignes américaines puis pillaient les maisons, les vidaient et y mettaient le feu. Dans d'autres endroits, ils arrachaient aux gens qui fuyaient les valises et paquets qu'ils portaient. Maintenant on comprend pourquoi pendant des semaines nous avons vu passer sur notre route des centaines et encore des centaines de camions chargés de valises, de malles, de sacs, fourneaux de cuisine, tables, fauteuils, armoires, paniers de vaisselle, grandes cages avec de la volaille, des cochons vivants et tués, de nombreux moutons, de la literie, des vêtements, chaussures, et même des chapeaux de femmes, tout ça jeté pêle-mêle dans les voitures, en un désordre effarant, des milliers de chevaux et de vaches dont beaucoup ont crevé en route (...) sans compter tout ce qui a passé par ici la nuit et que nous n'avons pas vu... A partir du 1er novembre, les Allemands charriaient leurs munitions de guerre et leurs provisions au moyen de voitures de paysans vers le front de Saint-Dié. L'essence leur manquait sans doute et cela nous a donné un nouveau courage... De plus, le canon qui approchait nous en disait assez. Quant aux vivres, nous nous sommes tirés d'affaire, tant bien que mal. Souvent, quand on arrivait en bas chez le laitier, il n'y en avait plus. Trois fois par semaine, je montais à Solbach chercher du lait maigre. En hiver, ils n'en donnent pas parce que les vaches sont sevrées. Maintenant, je monte de temps en temps à Blancherupt malgré la neige et la tempête ( 2 heures de marche ) pour obtenir un quart de beurre, autant de lard et une bouteille de lait avant de rentrer harassé. Ah ! qu'on a été heureux autrefois et aujourd'hui on ne trouve plus rien à acheter ! Les magasins sont vides depuis longtemps et tout le temps les Allemands nous demandaient des chiffons, de vieilles chaussures et même des os ( diese verdammte Lumpen händler )... Un jour les gens furent sommés de leur livrer les bouteilles. L'année dernière, on a bien voulu nous inscrire pour obtenir deux stères de bois, mais nous n'avons pas reçu ce bois vu que les bûcherons devaient travailler seulement pour la guerre.

Sur une grande affiche, on pouvait lire : "Totaler Kriegseinsatz ist das Gebot der Stunde" ... Cela nous en disait assez..." ... F. C.


Souvenirs confiés par F.C. à l'un de ses petits-enfants, le 22 novembre 2004, alors que ce dernier ne s'y attendait vraiment pas, puisque son grand-père s'est éteint le 13 décembre 1948 dans sa maison, là-haut, sur la colline... d'où, un certain jour de novembre 1944, il avait vu des soldats américains surgir de la Forêt comme d'un songe et venir à sa rencontre...

Correspondance découverte le 22 novembre 2004, dans un vieux carton, avec bien d'autres lettres, d'où émergent, à travers leurs souvenirs, les visages de proches pour la plupart disparus... mais jamais oubliés et encore plus proches aujourd'hui grâce à la magie de l'écriture... photos ou dessins à l'appui !


Photo C.C. 1937

Au centre, la maison de F.C., chemin de Solbach, à Rothau ( Bas-Rhin )... A droite, la Maison Forestière de la commune.

Dessin de F.C. , 1941. Voir.. "Un passe-temps de Ferdinand"...

Mort, où est ta victoire ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SOUVENIRS

recueillis par les élèves de 1 ère ES1 du Lycée Saint-Etienne de Strasbourg

Novembre 2004

Album de famille 1.....Album de famille 2

La mémoire partagée

Galerie de portraits

14 - 18........ 39 - 45

Mme H.......Mme St.

Lucie........Odile........Irène

Huguette...........Madame S. .

Galerie photos "LECLERC"

Les greniers de la mémoire


Exposition sur l'Holocauste ( documents rapportés des Etats-Unis par la Seconde Columbus 2004-05 )

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