La poésie est partout...Empruntée à l'univers hospitalier, l'expression "Salle de Réveil" désigne l'endroit où, au sortir de la salle d'opérations, vous surgissez peu à peu du sommeil de l'anesthésie générale ("A.G.", disent-ils), avant de regagner votre chambre...

Appliquée aux vieux livres qui "dorment" sur leurs étagères et à leurs personnages de papier, cette forme de retour à la vie et à la mémoire, cette façon de "reprendre conscience" et de "recouvrer ses esprits" ne se limite pas aux souvenirs vagues et nostalgiques : il s'agit d'un véritable voyage dans le corps et l'esprit collectifs d'une ou plusieurs générations disparues ...On assiste à la résurrection d'une époque et de ses lecteurs, avec leurs goûts et leurs mentalités, leurs thèmes de prédilection et leurs préoccupations - et la littérature pour la jeunesse du siècle dernier ou du début de ce siècle reflète plus sûrement que bien d'autres types de "témoignage" le système social et le code moral en vigueur, les craintes et les espoirs des aînés, dans un savant dosage où l'imagination est guidée, voire bridée par des impératifs "pédagogiques" faciles à débusquer, déchiffrer, démasquer...

 

 

LE LAC ONTARIO, par Fenimore Cooper

et

LES ROBINSONS DE TERRE FERME, par Mayne-Reid

 

Comme leurs auteurs, les livres portent un "costume". Leurs cahiers reliés sont revêtus d'une "jaquette" - ici rouge et cartonnée, avec des enluminures noires et dorées, sans oublier les "tranches", dorées elles aussi. Les livres pour la jeunesse, jusqu'à la première moitié de notre siècle, sont d'abord des objets, agréables à regarder, solides compagnons des heures de solitude et des veillées au coin du feu... A l'instar de Balzac, romancier réaliste du 19è siècle, selon qui on peut juger du caractère d'une personne à travers ses apparences extérieures et son comportement, comme à partir de son habitat, peut-on juger du contenu d'un livre à partir de sa présentation ? Pour cela, la couverture ne suffit pas : son format, ses pages de présentation et ses illustrations, la qualité de son papier, même, jouent un rôle déterminant dans notre jugement et finalement notre décision de faire ou non plus ample connaissance dépend en grande partie de cette première approche...D'ailleurs, aujourd'hui encore, pourquoi éprouve-t-on le besoin de palper un livre, de le feuilleter, d'en lire un extrait avant de l'acheter...ou de le remettre en place ? Mais attention, il en va du livre comme de l'homme : parfois "l'habit ne fait pas le moine"...

 

Revenons au roman de Fenimore Cooper, LE LAC ONTARIO, dont la jaquette et le format d'un maniement facile nous ont séduits... A l'intérieur, dans les "pages de garde", sous le titre de l'ouvrage et le nom de l'auteur, on peut lire :

"ADAPTATION ET RÉDUCTION A L'USAGE DE LA JEUNESSE"

Il ne s'agit donc pas du texte original et intégral de ce roman, d'ailleurs traduit de l'américain, ce qui implique déjà en soi des changements de tonalité, voire des déformations de l'esprit initial, mais d'une version "aménagée" selon des critères définis dans la Préface. Si l'on prend connaissance du contenu de celle-ci, on découvre une argumentation intéressante à analyser. On pourra tenter une réfutation avant de faire un rapprochement instructif avec un texte contemporain dont l'auteur s'insurge contre les formes actuelles d'"adaptation et de réduction" de nos grands classiques, notamment le "parcours fléché" - méthodes très prisées par les éditeurs d'aujourd'hui mais qui, on le voit bien ici, ne sont guère nouvelles, sinon dans les techniques et la formulation de cette pratique digne des "réducteurs de têtes" Jivaros...Réducteurs de têtes...donc de cerveaux ? Le débat est ouvert : initiation à l'argumentation (sujet 1 du Bac de Français ).

Le texte original du LAC ONTARIO a donc subi des "coupures", dans l'intention avouée d'éviter certaines "longueurs" - notamment descriptives - aux jeunes lecteurs, mais peut-être aussi des passages susceptibles de heurter leur sensibilité ou de "froisser" certaines valeurs propres à la France (coloniale) d'autrefois... Il serait intéressant de prendre le temps de retrouver ces passages et d'entreprendre la "psychanalyse" à laquelle nous invite ce type de "censure"...

Explorer le "conscient" et le "subconscient" d'une époque, dans tous leurs recoins, c'est un peu le travail des historiens soucieux d'exploiter les moindres documents - et le roman d'aventures pour la jeunesse, censuré ou non, n'est certainement pas le moindre de ces "documents", qui parlent souvent "plus vrai" que les manuels scolaires. En effet, la fiction romanesque reflète parfois le réel d'une façon bien plus "objective" que les plus "réalistes" des ouvrages "non fictifs" ou prétendus tels... Mais si, en outre, la censure use de son couperet, on dispose alors d'une nouvelle source d'informations - sur les préoccupations sociales et intellectuelles qui dominaient, à l'époque où le censeur s'est manifesté...etc...

( A suivre...)

Y.C............

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Yves Clady
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