L'hospitalité, aujourd'hui comme
hier...
" De nos jours, le voyageur trouve
parfois une hospitalité plus confortable chez les
riches propriétaires que chez les fellahs. Leurs
maisons sont vastes et convenablement meublées
à la mode turque : tout autour s'étendent des
jardins bien plantés, où l'on peut se reposer
agréablement, entre des vignes et des figuiers, au
milieu des grenades et des abricots. Le maître a bonne
mine et sa mise est soignée. Il reçoit son
hôte à la porte de sa maison ou s'avance
au-devant de lui, l'aide à descendre de cheval; puis,
après l'avoir salué
cérémonieusement, il le conduit à sa
chambre. On présente des bonbons et du café
avant le repas, qui sera plantureux, car
l'hospitalité, dans ces maisons luxueuses, se
manifeste par une véritable fête qu'on donne en
l'honneur de l'invité.
Les mets sont
placés sur le "sannich"
ou plateau bas qui tient lieu de table. Les places sont
marquées par des pains plats, entourés de
petits plats de salades et de condiments divers. Avant de
manger, une servante apporte le "tisht wa abrik",
pot et cuvette de cuivre, remplis d'eau, et les
invités se lavent les mains et la bouche.
Le repas
commence toujours par une soupe graisseuse, dans laquelle on
verse un bol de beurre fondu. Les convives se servent de
leur cuillère, seul accessoire qui prenne place sur
le plateau : chacun plonge à même le bol
posé au milieu de la table. Cette soupe est suivie de
poissons, de pigeons, de ragoûts variés, de
salades : on mange avec les mains; les convives se font de
mutuelles politesses, offrant à leurs voisins les
meilleurs morceaux. Le plat principal est souvent un dindon
rôti, bourré de noix, ou, dans les grandes
occasions, un agneau entier; le maître de maison doit
couper le plat habilement, sans le secours d'un couteau ou
d'une fourchette.
L'eau est
souvent aromatisée avec des feuilles de rose ou de
verveine : elle est conservée dans des pots poreux
que les servantes présentent, pendant le repas. On
sert toujours, à la fin du dîner, un plat de
riz bouilli au lait et sucré avec du miel : c'est un
mets délicieux, mais qui se mange avec la
cuillère qui a déjà servi pour la
soupe.
Tel est le
menu des gens riches. Le fellah, lui, se nourrit de riz et
de pain de blé; il mange quelques légumes, de
la canne à sucre, parfois un peu de viande ou du
poisson pêché dans le canal. L'eau est la
boisson courante : le café est un luxe que l'on
s'offre rarement. La vie de ces gens est fort simple; ils
n'interrompent leurs travaux rustiques que pour un mariage,
pour la fête du village, ou, dans les centres plus
populeux, pour ces fêtes religieuses
périodiques qu'on appelle "muled"..."
Jean BAYET, EGYPTE - Les
beaux voyages, éd. Les Arts Graphiques, Vincennes,
1911
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