 
Suite...
Avez-vous
vécu ce que vous écrivez ?
"Bonjour, monsieur. Tout d'abord, je vous remercie
d'être venu à cette
conférence.
- Merci à vous de
m'avoir invité !
- Durant ces vingt
prochaines minutes, nous allons essayer d'éclaircir
quelques points sur vos livres, notamment ceux que vous avez
écrits sur l'Amérique.
- Euh, allons au coeur du
sujet, je vous prie.
- Bien. Certaines
personnes, des philosophes entre autres, pensent que vous
avez tout inventé, que vous n'êtes jamais
allé en Amérique. Est-ce vrai ?
- Non, bien sûr que
non ! Pendant une période de ma vie, je suis bien
allé en Terre-Neuve et, à travers mes
écrits, j'ai relaté la vie de plusieurs
hommes. Oseriez-vous contredire les témoignages
d'hommes d'Eglise qui ont voyagé avec moi de
Saint-Malo à Baltimore ?
- Non, bien sûr que
non ! Mais est-ce vous qui avez vécu ce que vous
écrivez ou s'agit-il de la vie d'autres hommes ?
- Certains passages sont
issus d'une expérience personnelle tandis que
d'autres relatent des faits dont je ne suis pas le principal
acteur.
- Vous avouez alors ne pas
avoir vécu tout ce que vous avez écrit. Vous
avouez avoir transcrit des faits racontés par des
américains qui, d'ailleurs, ne sont peut-être
pas tous vrais.
- Oui, mais là n'est
pas la question ! Je suis bel et bien allé en
Terre-Neuve !
- Certains philosophes
disent que vous avez cru aller aux Etats-Unis alors qu'en
fait vous êtes resté en
France...
- Que ceux qui
prétendent cela osent me le dire en face ! A l'aide
de quels arguments soutiennent-ils leur thèse ?
Allez, dites-le moi !...
- Je ne sais pas, mon
métier n'est pas de vous juger... J'ai
rassemblé divers témoignages
et...
- Pouvez-vous alors
m'expliquer ce que ces "philosophes", qui s'estiment
à même de juger quelqu'un, me reprochent
?
- Ils vous reprochent le
manque de précisions dans vos descriptions
!
- Un proverbe dit : " ceux
qui prêchent, prêchent par excès et non
par défaut ". Or, on me reproche le manque de
détails et non l'abondance de mes descriptions !
- Dans certains de vos
livres, comme ATALA, vous semblez obscurcir certaines
étapes de votre vie. Pourquoi procéder ainsi ?
- Pourquoi croyez-vous que
certaines personnes s'intéressent à moi ?
C'est tout simplement parce que j'ai une part de
mystère en moi que je ne veux pas
révéler...
- Vous insinuez donc que
vous voilez volontairement certaines étapes de votre
vie ?
- Seul Dieu le sait
!
- Dans tous les cas, je
vous remercie pour cette interview !
- De rien !... Au revoir
!
- Au revoir."
Antoine
B.
La hache de
guerre...
A son retour d'un long et rude
voyage en Amérique, Chateaubriand annonce dans un
journal français la sortie de son prochain livre,
Atala. Ainsi, le lendemain, un journaliste vient
l'interviewer...
<<
Bonjour Monsieur, une rumeur
suggère que vous n'êtiez pas en
Amérique. Pouvez-vous vous défendre face
à cela ? Qu'avez-vous vu là-bas
?
- J'ai ici un document
remis par le Président américain
lui-même, avec sa signature. J'ai donc visité
la Maison Blanche, navigué sur le Mississippi,
vécu avec les indiens, passé par les
magnifiques plages de Floride et traversé les chutes
du Niagarra pour aller voir le Mexique et le lac Titicaca,
en Amérique du sud...>>
Avec
cette déclaration, le journaliste était un peu
plus persuadé de la réalité de ce
voyage, mais il s'obstinait toujours à évoquer
cette rumeur :
<< Ainsi, vous seriez allé en
Amérique... Mais ne serait-ce pas vous qui avez
écrit cette lettre du Président avec une
fausse signature? Qui me dit que cela est vrai ? Ne
serait-ce pas une image puisée dans d'autres livres
?
- Non, vous n'y êtes
pas : j'ai ici encore le billet du bateau qui m'y a
amené. Pourquoi devrais-je acheter des billets pour
ne pas les utiliser? Puis les autres auteurs sont de
vulgaires écrivains. Pourquoi devrais-je les piller
?... >>
Ainsi
l'intervieweur le crut et ils commencèrent
à parler de son voyage:
<< Combien de temps êtez-vous resté
là-bas ? Quelles ont été vos plus
belles rencontres lors de votre voyage ?
- Je suis parti pendant six
mois, durant lesquels j'ai pu rencontrer le
Président, mais j'ai aussi pu vivre avec des indiens.
>>
Mais l'intervieweur, ignorant
que les indiens étaient en paix et qu'un homme blanc
aurait pu vivre avec eux, crut qu'il inventait cette
histoire. Alors Chateaubriand sortit de son sac un journal
évoquant la paix entre les indiens et les blancs et
déclara qu'ils avaient enterré la hache de
guerre. Ainsi le journaliste, ayant assez de renseignements
pour son article, le salua en s'en alla.
Sébastien
"Le
poète avait vaincu le voyageur "...
Lors de mes
nombreux passages à la bibliothèque, je tombai
sur un récit de Chateaubriand. Dans ce nouveau livre
du voyageur François René, je découvris
plusieurs facettes inédites du « Nouveau
Monde ». L'Amérique, terre inconnue, me
fascinait. C'est un goût prononcé pour
l'aventure, la découverte de l'inconnu qui me poussa
à parcourir ce livre. Me vint alors l'idée
d'interviewer son auteur. Je voulais éclaircir
quelques points imprécis, d'abord sur les paysages
américains, ensuite sur ces héros, les
Natchez, "hommes
libres de la nature", et enfin sur les victimes
françaises des affrontements avec les
indiens.
Plus tard,
dans un quartier d'Orléans, je rencontrai enfin
l'écrivain
« Bonjour, Mr. de Chateaubriand,
dis-je en lui
serrant la main.
- BonjourÉMonsieur ? demanda-t-il, curieux.
- Monsieur de Staulant. Je suis
journaliste.
- Que
me vaut l'honneur de votre visite,
monsieur ?
- C'est au sujet de votre livre :
j'aimerais, si cela ne vous dérange pas, vous poser
quelques questions.
- Mais
je vous en prie. Entrez. »
Apparemment
ravi de ma visite, il m'introduisit dans un petit salon fort
avenant.
« De quel ouvrage
s'agit-il ?,
demanda l'homme intéressé.
- Il s'agit de celui concernant votre
épopée en Amérique.
- Je vous écoute.
- Bien. Tout d'abord, en découvrant
votre description des lieux, de la botanique, des couleurs
dominantes, je me demandais simplement si tout ce spectacle
vous était réellement connu.
- Evidemment. Cela ne fait aucun doute. Etant
soldat, je devais faire ce voyage afin de contribuer
à rétablir l'ordre dans la colonie
française de Louisiane.
- Je ne pense pas que votre
réponse va convaincre le journaliste que je suis. De
plus, il semblerait que votre périple passe par
l'Ohio, le Mississipi, et les terres de Floride. N'est-ce
pas un itinéraire impossible, si l'on tient compte du
peu de temps dont vous disposiez ?
- J'admets ne pas être passé par
tous les lieux dont vous parlez. Pour les décrire,
j'ai dû emprunter un peu à un autre
récit,
répondit l'homme légèrement
déstabilisé.
-
Effectivement,
Joseph Bédier, dans ses articles critiques, mentionne
vos sources. »
Chateaubriand
ne sachant pas quoi répondre, je décidai tout
de même de continuer mon interview :
« J'ai également une question
concernant les mÏurs des « hommes
libres » dont vous parlez, dis-je rapidement.
Comment, en cinq
mois, avez-vous pu étudier si
précisément l'histoire de ces indiens et de
leurs coutumes ? Surtout, la manière dont vous
en parlez est étrangement semblable au style d'un de
vos autres livres, Atala par exemple, remarquai-je.
- JeÉJe reconnais
également avoir repris beaucoup
d'éléments de mon récit onirique
intitulé Atala,
balbutia Chateaubriand. Mais cela ne veut pas dire que ce
que j'ai écrit sur les Natchez est faux, dit-il
précipitamment.
- Je ne dis pas le contraire,
monsieur de Chateaubriand. J'ai également
vérifié tout cela dans les rapports des
précédentes expéditions militaires. Ce
que vous auriez très bien pu faire avec votre statut
de soldat », dis-je perplexe.
Un long
silence s'installa dans le petite pièce.
L'écrivain me regardait d'un air effaré. Il
paraissait paniqué. Mais il dit
enfin :
« Seriez-vous en train de douter
de l'authenticité de mon
épopée ?
- C'est bien là la raison
de ma visite chez vous., dis-je.
- Et
avez-vous autre chose à me
demander ?
- Oui.
A propos du comportement des soldats de St Clair. Pourquoi
ne parlez-vous donc pas du massacre de ces
derniers ?
- C'était presque voulu :
dans une épopée comme celle-ci, on
s'intéresse davantage aux hauts faits des acteurs
principaux. Il arrive que l'on passe sous silence le sort
des victimes. J'avoue, cependant, que malgré mes
nombreuses notes désordonnées, sans dates, le
côté poétique a pris le dessus sur le
narratif. »
Au vu de ces
réponses, j'étais à même de
penser qu'il y avait beaucoup de choses qui, dans le texte
de Chateaubriand, étaient inexactes et
imaginées. Il n'a pu, malgré son vrai voyage
aux Amériques, éviter le côté
imaginatif des écrivains qui l'ont
précédé : Voltaire, Rousseau et
d'autres encore. Il avait raison :
« Le
poète avait vaincu le voyageur. ».
Yanne
Supposons
qu'il y est allé...
Deux amis journalistes
discutent de leurs auteurs et de leurs livres favoris. La
discussion se transforme alors en un débat sur
l'authenticité des écrits de Chateaubriand,
l'auteur préféré de François.
« Cher ami, as-tu lu le roman de Chateaubriand, cet
auteur exceptionnel dont je t'ai parlé il y a plus
d'un mois ? As-tu apprécié son
récit intitulé Atala ? demande François à son ami
journaliste.
- En effet je l'ai lu, mais
j'ai certains doutes quant à l'authenticité et
à la véracité de ses propos concernant
l'Amérique. Je me demande même s'il s'est rendu
sur ce nouveau continent, s'il a vraiment entrepris ce
voyage périlleux à travers l'océan
Atlantique...
- Comment peux-tu dire une
chose pareille ? Bien évidemment qu'il y est
allé ! Comment aurait-il pu décrire aussi
bien les fabuleux paysages qu'il a rencontrés s'il
n'avait jamais mis un pied en
Amérique ?
- Il aurait très
bien pu s'inspirer de photos, de récits de voyageurs
et de toutes les rumeurs qu'il a entendues sur ce
sujet !
- Oui, bien sûr, mais
Chateaubriand était un être curieux et
assoiffé de nouvelles contrées, de nouveaux
continents, de nouveaux pays... C'était un homme
honnête, et jamais, au grand jamais, il n'aurait menti
dans ses récits. De plus, il l'a dit
lui-même : comme il était en manque
d'inspiration et qu'il ne parvenait pas à
décrire ce pays qu'il ne connaissait que par bribes,
il a décidé d'entreprendre ce voyage en
Amérique pour en découvrir les multiples
facettes et être capable de le décrire de
manière plus réaliste. Des moines qui ont
voyagé avec lui sur le bateau les menant jusqu'au
Nouveau Monde ont témoigné de sa
présence à leurs côtés. Il est
allé en Amérique,
insiste François.
- Supposons qu'il y est
allé. Comment aurait-il pu, en si peu de temps, se
rendre dans tant d'endroits différents, comme l'Ohio,
la Floride, Washington ou le Mississippi ? Et cette
fameuse histoire selon laquelle il se serait entretenu avec
le président des Etats-Unis d'Amérique...
C'est tout simplement impossible ! Jamais une personne
telle qu'un président n'aurait prêté
attention à un petit écrivain
français.
- Au contraire, tu te
trompes. En effet, on a retrouvé des preuves
indiscutables selon lesquelles Chateaubriand s'est bel et
bien entretenu avec le président de
l'Amérique. De plus, nous savons aussi qu'il s'est
rendu à New York. Mais il décrit si bien
l'Ohio, la Floride ou encore le Mississippi que, sans aucun
doute possible, nous pouvons affirmer qu'il a
réellement parcouru ces terres
étrangères.
- J'adhère à
certains de tes propos, mais à d'autres, je ne peux y
croire. Selon moi, Chateaubriand s'est rendu en
Amérique, à New York et à Washington,
mais il n'a pas mis les pieds en Floride, ni dans l'Ohio. Je
ne crois qu'à ce qui est prouvé, même
si, au fond de moi, j'aimerais être aussi naïf
que toi...
- Je ne suis pas naïf,
mais réaliste, rétorque François. Je suis convaincu que Chateaubriand n'a rien
inventé, que les faits qu'il a vécus et les
choses qu'il a vues se sont déroulés sous ses
yeux et qu'il n'est pas un charlatan essayant d'embobiner le
peuple français en écrivant des mensonges sur
l'Amérique et le peuple américain. Tout ce
qu'il décrit dans Atala me semble
authentique, et je ne changerai pas de point de vue.
Cependant, libre à toi de croire ce que tu souhaites
croire : je te laisse le bénéfice du
doute. Mais si tu respectes Chateaubriand et si tu
apprécies ses livres, tu devrais croire en son voyage
et en son périple en Amérique. Sur ce, je te
laisse réfléchir, et reviens me voir lorsque
le doute aura disparu en toi. »
Léa
La
féérie n'est pas le fruit de mon imagination
de poète...
Nous voici en l'an 1805. Nous
assistons ici-même à une conversation entre
Chateaubriand et un journaliste, monsieur Ferdinand,
envoyé par la Gazette...
« Monsieur François-René de
Chateaubriand, je suppose que vous êtes au courant de
la polémique que vous avez déclenchée
avec les récits de votre voyage en
Amérique ?
- Tout à fait, oui ;
trop de questions se posent actuellement à mon sujet
: des débats, des paris ont lieu à ce
propos...
- En effet, bien des
personnes se posent la question de savoir si vous avez
vraiment parcouru les côtes américaines comem
vous l'avez rapporté dans quelques-uns de vos romans,
par exemple Atala ou
René, ou bien même dans votre journal de bord.
- Oh, monsieur Ferdinand,
j'en suis navré ; je constate moi-même que les
lecteurs de mes ouvrages y trouvent une certaine
incrédibilité... Cependant, les paysans, les
créatures et les faits étaient
réellement tels que je les ai décrits dans mes
livres. La féérie n'est pas le fruit de mon
imagination de poète !
- Certes, mais
remarquez-vous que votre récit est davantage
convaincant dans le roman Atala que dans votre
journal de bord, censé décrire parfaitement vos
pérégrinations ?
- Monsieur, sachez que je
suis un homme d'action ! Ce voyage, ne me faites pas mentir,
je l'ai vécu, et en ai minutieusement rapporté
les faits jour après jour. Les critiques
littéraires, les polémiques, je ne peux rien
contre cela, et je ne sais comment vous persuader de la
réalité de mes ouvrages.
- Veuillez m'excuser,
monsieur de Chateaubriand, nous allons clore ce débat
: la Gazette vous remercie de tout coeur !
- Attendez, sachez tout de
même que, par la simple lecture des récits
rapportés par les religieux m'ayant
accompagné, vous aurez la preuve que je me suis rendu
sur ce continent qu'est l'Amérique. Vous aurez par la
suite la preuve que, oui, vraiment,
François-René de Chateaubriand s'est bien
rendu en Ohio, dans le Mississipi, et aux chutes du Niagara.
J'ai été vu à New-York, ainsi
qu'à Philadelphie... Alors, cher monsieur, et je
m'adresse par votre intermédiaire à tous les
lecteurs de cette Gazette, je vous en
prie, cessez ces polémiques, ne me questionnez plus
guère... Au revoir. »
Flore
Mais que lui
reprochez-vous donc ?
Un soir de novembre 1805, rue
de Saint Jean, dans le salon de Monsieur Duracelle,
où étaient réunis plusieurs
invités, Monsieur Laval et
Monsieur Durandeau vinrent à parler
d'Atala, le dernier
ouvrage de Chateaubriand.
« Si, si je vous l'assure ! Il le fit, ce
voyage en Amérique, et ce ne sont pas les preuves qui
manquent, vociféra
Monsieur Laval.
- Je
le sais bien, cette histoire fut à la une du Parisien
la semaine passée. Mais je vous rappelle aussi que
les contre-preuves répondent à l'appel. Mais
laissons cela : je ne mets pas en doute son voyage en
Amérique, mais la véracité son
récit, répondit
Monsieur Laval.
- Son récit ? Mais que lui
reprochez-vous donc ?
s'emporta Monsieur Durandeau.
- Il
est fabriqué de toutes pièces, tout y sonne
faux, déclama M.
Durandeau. Les descriptions sont
extrêmement pointues, beaucoup trop à mon sens.
Prenons par exemple la description de la
végétation de l'Ohio : tous les botanistes
reconnus éclateraient de rire s'il leur venait
à lire ce passage. En outre, comment voulez-vous, en
cinq mois à peine, en apprendre autant sur la faune
et la flore de l'Amérique, et sur la langue et
la culture de sa population ?
- Et
quand bien même ! Il s'est sans doute
inspiré d'autres ouvrages, que cela
change-t-il ? Beaucoup d'écrivains ont fait,
font et feront de même. Il voulait simplement rendre
son ouvrage plus parlant, plus vivant, répondit avec humeur Monsieur
Laval.
- Certes, mais cet ouvrage perd alors tout son
charme. Nous ne saurons jamais comment se fait la vraie
découverte de l'Amérique par un de nos
contemporains.
-
Monsieur...
- Et
comment interprétez-vous ce changement de personne du
narrateur ?, coupa Monsieur
Laval. Je vais vous le dire :
quand il est à la première personne, nous
sommes dans le vrai du récit, le vécu par
l'auteur, et quand il est à la troisième
personne, Chateaubriand nous avoue qu'il a triché, si
je puis dire.
-
Sans doute avez-vous raison, mais vous voyez bien qu'il
l'avoue, comme vous dites, au lecteur, il n'est donc
pas aussi malhonnête que vous le
prétendez.
- Si, je le pense. Car je doute que ces aventures
avec les Natchez soient réelles. Ce livre est
plutôt un roman qu'un récit de
voyage.
- A
mon avis, cher Monsieur, nous ne saurons jamais le fin mot
de cette histoire. Et je suis intimement persuadé que
dans trois siècles encore des personnes auront cette
même discussion.
- Qui sait ? », répondit Monsieur Durandeau,
avec un léger sourire.
Anne
Un voyage
extraordinaire
Comme prévu, le Mardi
21 Septembre, je me rends chez M. de Chateaubriand. Il est
trois heures précises et dans la rue Victor Hugo,
cela sent encore la pluie, qui vient tout juste de cesser.
Je daigne enfin agiter la cloche de la demeure de M. de
Chateaubriand. C'est un vieil ami, que j'apprécie
beaucoup, et, comme à son habitude, il m'accueille
avec une gentillesse particulière.
« Ah ! Bonjour cher ami ! Voilà bien
longtemps que nous nous sommes croisés ! Entrez,
Vladimir ! Mais quelle est donc la raison de votre soudaine
visite ?
- Je suis là pour
m'entretenir avec vous au sujet de votre voyage en
Amérique, afin que le journal La Guillotine fasse
paraître un article à votre sujet. Je suis, par
ailleurs, très heureux de vous voir !
- La Guillotine veut
parler de moi dans un article ?
- Effectivement, Monsieur.
En effet, beaucoup de rumeurs courent dans les rues selon
lesquelles votre livre, Atala, dans lequel vous racontez
votre périple en Amérique, serait une pure
fiction.
- Oh je vois ! Et bien pour
faire taire ces langues bien pendues, je répondrai
à vos questions, Vladimir !
- Alors, commençons
de suite. »
Nous prenons place dans de
larges et confortables fauteuils et démarrons
l'entretien...
« Comme je vous
l'ai dit, certains bruits courent, affirmant que vous
n'êtes, en réalité, jamais allé
en Amérique. Pouvez-vous prouver que cela est faux
?
- Doux Jésus ! J'ai
vu l'Amérique de mes propres yeux ! Je jure ici
même, devant Dieu, m'y être rendu. J'ai tout vu
de l'Amérique, sans exception. J'ai vu des Hommes
aussi noirs que l'ébène, forcés de
travailler jour et nuit. Ils se faisaient fouetter s'ils
n'obéissaient pas aux ordres. J'ai rencontré
des Hommes simples comme vous et moi. J'ai vu des
forêts plus grandes que tout Paris, des arbres d'une
hauteur extraordinaire ! Toute cette nature, d'une
incroyable beauté, paraît irréelle. Les
couleurs y sont plus vives que celles de tous les tableaux
existants à ce jour. Les Hommes qui y vivent sont
d'une simplicité surprenante. C'est un autre Monde,
je vous l'affirme !
- Effectivement, cela
paraît incroyable ! Mais par quels moyens vous
êtes-vous rendu sur ces terres si étranges ?
Étiez-vous accompagné ?
- Bien sûr,
voilà une autre preuve de ma sincérité,
d'ailleurs. Je suis allé en Amérique avec des
prêtres. Nous sommes partis de St-Malo en bateau.
Interrogez-les si vous le souhaitez ; ils ont
également fait un récit de leur voyage.
»
Le jugeant offensé par
mes questions, je décide de cesser.
« Je crois en
effet que vous avez ramené là assez de preuves
pour faire taire le peuple !
- J'ose espérer,
Vladimir !
- J'en suis convaincu !
Notre entretien paraîtra dans La Guillotine du
Vendredi 24 septembre, avec quelques extraits de votre
roman.
- J'en suis ravi ! Puis-je
vous proposer un verre ?
- J'accepte avec grand
plaisir ! »
Devant un feu de
cheminée, nous nous racontons nos souvenirs
d'antan.
Julie
Ne
trouvez-vous pas étrange
que
Chateaubriand ait deux façons de s'exprimer
?
Deux amis se retrouvent
au bistrot de la place Vendôme. L'un deux, Jean,
apporte un journal de bord intitulé Voyage en Amérique, un livre provoquant de nombreuses
polémiques.
Jean pose l'ouvrage sur la
table d'un geste ferme, cherchant le regard de son
compagnon.
Jean : « Ah ! Ce journal est merveilleusement
bien écrit ! »
Luc : « ...écrit par un menteur, un
faux écrivain-voyageur ! »
Jean : « Pas du tout, Chateaubriand est bien
allé en Amérique. Certaines preuves le
démontrent bien... »
Luc : « Oui, la partie nautique n'est plus
contestable grâce aux récits des prêtres
qui ont voyagé avec lui. Il reste à prouver
que les expéditions sur les terres de Nouveau Monde
ont bien eu lieu. »
Jean : « Eh bien, très cher ami, permettez-moi
de vous dire que Chateaubriand a bien visité
l'Amérique. Certes, nous ne possédons pas de
preuves comme pour la traversée de l'océan,
mais des témoins oculaires sont sûrs de l'avoir
aperçu à New York et à Philadelphie.
Des traces de son passage ont même été
trouvées dans les archives du Congrès
Américain. »
Luc : « Est-il vraiment allé aux chutes du
Niagara ? A-t-il vraiment longé l'Ohio et le
Mississipi ? Est-il allé jusqu'en Floride ? Alors,
Jean, qu'avez-vous à me répondre
? »
Jean,
déstabilisé par les paroles offensives de son
ami, passe ses mains dans les cheveux et fronce les
sourcils.
Jean : « Mais... »
Luc, profitant de
l'égarement passager de son voisin, lui coupe la
parole.
Luc : « Cette fois ci, avez-vous des preuves
? »
Le brouhaha du café et
le claquement régulier de la porte battante du
bistrot parisien empêchent Jean de se
concentrer.
Jean : « Non. »
Luc : « D'ailleurs ne trouvez-vous pas
étrange que Chateaubriand ait deux façons de
s'exprimer ? A Paris, nombre de lecteurs partagent mon opinion.
Sa narration correspond aux événements
vécus par l'auteur. Par contre, l'utilisation de la
troisième personne peut nous laisser croire que
Chateaubriand est allé puiser dans les récits
d'autres écrivains. »
Un petit sourire discret
s'ébauche sur les lèvres fines et bien
dessinées de Jean.
Jean : "Certes, vos arguments sont plausibles mais je
persiste à croire que Chateaubriand a bien
traversé l'Amérique, est allé aux
chutes du Niagara, a longé l' Ohio et le Mississipi
et a fini son périple en Floride..."
Luc : « Je reste sur mes positions
! »
Les deux compères sont
dérangés par le serveur, un homme grand au
regard clair, qui clôt la discussion. Luc et Jean font
part de leur commande, deux grandes bière
fraîches, juste avant de conclure que ce livre n'a pas
fini de faire polémiquer les lecteurs du monde
entier.
Ils trinquent ensuite à
leur belle amitié et songent aux prochaines critiques
des futures oeuvres de Chateaubriand.
Kim
Une vie libre
et naturelle...
La scène se
passe dans une petite pièce fort charmante. Il y a
simplement une petite table et deux chaises au beau milieu
de la salle.
Il est quatorze heures, le célèbre
journaliste, monsieur Martin, entre dans la pièce.
Derrière lui apparaît un homme de taille
moyenne. Il doit avoir entre trente et trente-cinq ans, pas
plus. Son nom est François - René de
Chateaubriand. Celui dont tout l'hexagone parle, ces
derniers temps ! Les deux hommes prennent place. Comme
prévu, l'interview commence à quatorze heures
quinze.
L'atmosphère est
placide : monsieur Martin pose des questions
abordables...
<< Comment s'est passé votre voyage en
Amérique ? >>
Chateaubriand répond
clairement: << Cette
expédition était pour moi une
expérience inoubliable. Elle était certes
longue, coûteuse, fatigante et dangereuse, mais j'ai
pu découvrir tant de choses que les civilisations
européennes ignorent !
>>
Monsieur Martin reprend:
<< Pouvez- vous nous
communiquer ce que vous avez découvert sur ces terres
méconnues ?
>>
L'invité répond:
<< J'ai découvert une
civilisation qui vit au contact direct de la nature, une
végétation paradisiaque, un cadre de vie
enchanteur où se déroule une vie libre et
naturelle, loin des maux et des défauts de nos
sociétés...Voyez-vous, cher monsieur, ces
Indiens d'Amérique sont libres et heureux de vivre au
contact direct de la nature, alors que le progrès des
techniques, ici en Europe, n'améliore pas
forcément les conditions de vie de
l'homme...>>
Viennent ensuite des
questions plus pertinentes :
<< Dans quelles régions vous êtes-vous
rendu précisément ? >> demande monsieur Martin.
Chateaubriand lui
répond qu'il est passé par l'Ohio, le
Mississippi, les Florides, New York, Philadelphie et qu'il a
eu l'occasion de rencontrer Washington.
<< Pourtant des rumeurs circulent en ce moment,
selon lesquelles que vous n'êtes pas passé par
l'Ohio, le Mississippi ainsi que les
Florides...>> dit monsieur
Martin.
Chateaubriand a l'air un peu
surpris par ce que le journaliste vient de lui dire. Il
exprime son profond étonnement concernant ces
rumeurs. Il rétorque ensuite: << Je n'ai rien inventé dans mon ouvrage,
cher monsieur. Je suis bien passé par ces
régions, et c'est ainsi que j'ai pu découvrir
une végétation paradisiaque, la
société indienne...>>
Cependant, le journaliste persiste: << Votre périple est en tout cas au coeur d'
une polémique qui a agité le monde des
critiques littéraires, cher monsieur de
Chateaubriand. En effet, j'ai entendu dire que les pages que
vous avez vous- mêmes écrites dans le roman
Atala, à propos de ce périple en
Amérique, sont plus authentiques et plus
convaincantes que dans votre ouvrage Voyage en Amérique. Pouvez- vous nous parler de ce sujet, je vous
prie, monsieur, si vous le voulez bien ?
- Atala est peut-
être plus authentique et plus convaincant que le
journal de l'Amérique ; mais permettez moi de vous
dire, monsieur, qu'en exerçant mon métier
d'écrivain, je sais ce que j'ai à faire et
à ne pas faire. Comme tous les écrivains de ce
vaste monde, je suis seul maître de mes ouvrages. Dans
Atala, je rapporte spécialement ce que j'ai vu,
contrairement à l'autre ouvrage... >> répond l'auteur.
<< Mais comment se fait- il alors que des
événements comme le massacre de près de
deux mille Américains par des Indiens de l'Ohio en
1791 n'ait pas été évoqué sans
votre roman ? >>
Chateaubriand, tout à
fait à son aise, répond:
<< Dans mon livre, je n'ai décrit que ce qui
me semblait infaillible. Je m'explique: tout ce que j'ai vu
de mes propres yeux ou exécuté durant les cinq
mois que j'ai passés au côté des Indiens
d'Amérique sont évoqués dans mon
ouvrage. Le massacre de ces Américains n'a donc pas
été décrit dans mon livre pour la bonne
et seule raison que je n'ai rien vu de tout cela. >
>
Il est quinze heures,
l'entretien est terminé. Les deux hommes prennent
congé et sortent l'un après l'autre, en
fermant la porte derrière eux.
Evelyne
J'étais
trop occupé à rêver...
Chateaubriand, tout juste
rentré de son grand voyage en Amérique,
s'apprête à recevoir un journaliste du plus
célèbre quotidien parisien.
Celui-ci venant d'arriver,
Chateaubriand le prie de s'asseoir dans le salon pour qu'il
puisse commencer son interview.
<< Bien, Monseigneur, nous pouvons à
présent commencer cet entretien tant
demandé par ma gazette ; êtes vous
prêt ?
- Oui monseigneur, je suis
tout ouïe.
- Je vais commencer directement par la
question que tout le pays se pose : êtes-vous
véritablement parti pour les Amériques durant
ces cinq mois ou bien vous êtes-vous simplement
caché pour influencer l'opinion ?
- J'ai
visité le Nouveau-Monde, assurément, durant
cinq mois et douze jours exactement.
- Pouvez-vous
avancer des preuves sur ce que vous venez de dire ? Car
les détracteurs de votre voyage ici, en France, n'ont
pas chômé pour démontrer que vous n'y
étiez jamais.
- Ah ! Eh
bien, des preuves, je vais vous en proposer quelques
unes : tout d'abord, le tout nouveau pays des
Etats-Unis d'Amérique m'a accordé un droit de
séjour et ceci figure toujours dans les archives
locales. J'ai aussi demandé aux britanniques un
mandat pour séjourner sur le territoire Canadien.
Enfin, troisième preuve : j'ai ramené ici
deux hommes: l'un Amérindien, l'autre
québecquois, qui pourront vous affirmer que
j'étais bien là-bas. >>
Ayant terminé ce long
monologue, Chateaubriand se tait et attend une nouvelle
question du journaliste.
<< Merci Monseigeur. Maintenant, pouvez-vous nous
décrire la végétation de ce
pays ?
- Mais
naturellement. La côte nord-est de l'Amérique
du nord présente une végétation
composée de conifères très denses et
peu différents des nôtres. Ensuite si l'on
s'enfonce très loin dans les terres, au sud-ouest de
la région des grands lacs, le climat est plus aride
et il y a des zones semi-désertiques.
- Voilà... et
la faune à présent ?
- Oh, la faune
est très proche de la nôtre sauf au
nord où vivent de grands cerfs et
d'énormes vaches nommées '' bisons '',
dans le territoire des grandes plaines.
- Très
étrange, tout cela. Et pour ce qui est des
habitants ?
- Les habitants des ces terres lointaines sont
plutôt pacifiques... Sauf quand on leur déclare
la guerre. Ils maîtrisent très bien le cheval,
ils sont très proches de la nature et ont un
excellent sens de l'orientation. Par contre, ils ne sont pas
très évolués en ce qui concerne les
techniques industrielles. Physiquement, ils sont très
proches de nous, bien qu'ils ressemblent davantage aux
habitants des terres d'Asie.
- Mais pourquoi
n'avez-vous pas cité tous ces détails dans
votre livre ?
- J'étais
trop occupé à rêver. Les paysages sont
magnifiques et on a beaucoup à apprendre des
habitants locaux. Ce livre est plutôt un recueil
poétique qu'un récit de voyage.
- Merci beaucoup,
Monsieur. Cet interrogatoire est terminé. Ce fut un
plaisir, au revoir.
- Un plaisir
partagé. Adieu >>
Le journaliste partit,
laissant Chateaubriand perdu dans ses
pensées...
Grégoire

photo Pléiade 2004
Vers la page 1 des
polémiques 2008
Carnet de voyage en Amérique,
octobre 2008 :
PUZZLE
Polémiques
d'historiens à propos de la réalité
du voyage de Saint Brendan, moine irlandais du
VIè siècle ( Seconde
Amérique 1998 )...
Débats
francoricains en Octobre 2004
Lien externe :
LIRE
ET PARTIR : les pays des grands auteurs...
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