Au
paradis de la bulle...
Catégories : foi, engagement
et militantisme
|
|
|
LES MAUVAISES GENS
Une
histoire de militants..Reportage dessiné
Grand
Prix 2005 de la critique BD / Prix France-Info 2006
de la bande dessinée d'actualité et
de reportage / Grand Prix de la critique 2006 /
Angoulême 2006 : Prix du public, Prix du
scénario...
|
Un courant se répand dans la
bande-dessinée, c'est le ROMAN-BD, souvent des
biographies ou autobiographies... On connaît la
fameuse BD de Marjane Satrapi, PERSEPOLIS, récemment
portée à l'écran... On lui consacrera
également une fiche de lecture, puisque la veine
"religieuse" y occupe une place importante...
Depuis quelques années, en effet, les
auteurs de BD pratiquent le reportage ou le documentaire.
Une oeuvre récente (2005) mérite d'être
évoquée sur notre site de "culture religieuse"
: "LES MAUVAISES GENS",
d'Etienne Davodeau. Sous-titre : une
histoire de militants. Editions
Delcourt... Étienne Davodeau a
déjà à son actif bien d'autres albums,
notamment le fameux «Rural», chronique
d'une agriculture collective et biologique.
Dans LES MAUVAISES
GENS, le dessinateur raconte la vie de ses
parents, depuis leur enfance, à la fin de la guerre,
jusqu'au 10 mai 1981.
Famille chrétienne. Engagement syndical
( CFDT ) en milieu ouvrier,
discussions animées, militantisme précoce,
notamment à la JOC (
Jeunesse ouvrière chrétienne ) et le fol
espoir du 10 mai 1981...
Etienne Davodeau décrit le formidable
outil, à la fois de répression et de
libération, qu'a pu être l'Eglise en France,
surtout en milieu rural. Il raconte l'histoire de gens
"modérés et intègres", celle de ses
parents, dont l'éducation s'est forgée entre
l'Eglise et l'Usine. Très vite
poussés par la volonté d'agir, ils s'engagent
dans le militantisme catholique et ouvrier... Leur parcours
et leurs aspirations sont ceux d'une France à la
recherche de justice et de progrès social, de
l'après-guerre à l'élection de
Mitterrand...
Point de vue : en
ne lisant que ce résumé, on pourrait croire
que le livre de Davodeau n'est qu'un pamphlet sur l'oppression du
monde ouvrier dans la France d'après-guerre. Certes,
le sujet principal de cet ouvrage n'est-il pas, plutôt
que la famille Davodeau elle-même, le peuple qui
milite au sein de cette région catholique et
ouvrière qu'est la Vendée des années 50
/ 60 ? D'ailleurs, comme le dit honnêtement Davodeau
à la fin de cet ouvrage, ce récit lui est
dédié ! En effet, à l'encontre de toute
la mouvance «autobiographique»
actuelle, le dessinateur ne met pas en exergue son histoire
familiale, mais la resitue dans un contexte historique qui
est finalement au coeur de ce livre ( voir
"éclairages" ci-contre ).
En outre, au delà du pamphlet, l'un des principaux
mérites de cet auteur aux talents narratifs
confirmés est de parvenir à émouvoir et
intéresser un public qui n'a pas forcément de
liens affectifs avec la région décrite ou avec
le milieu social évoqué.
Dans ce vibrant hommage, tous les
témoignages sont émouvants, qu'il s'agisse de
celui de sa mère, entrée à l'usine
à l'âge de 14 ans et qui a su profiter des
activités proposées par les Jeunesses Ouvrières
Catholiques, ou de celui de son père, qui
va passer, sans ambages, du statut d'ouvrier à celui
de professeur de lycée, sans oublier le portrait de
ce discret mais dynamique aumônier de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, qui avait
assimilé les accélérations de
l'époque (les années cinquante / soixante) -
un prêtre qu'Etienne Davodeau a retrouvé 40 ans
plus tard.
Techniques, moyens, objectifs,
effets...
On note une constante dans le dessin de
Davodeau : un trait simple et dynamique peu soucieux de
représenter fidèlement la
réalité et qui ne se complaît jamais
dans l'esthétisme pour l'esthétisme car, au
final, ce n'est qu'un vecteur visuel au service de
l'histoire. Seules comptent l'émotion sur les visages
et la justesse dans les propos. On retrouve donc dans cet
album la simplicité efficace du dessin, typique du
style Davodeau...
Le ton employé par ce dessinateur
sensible, qui se met ici en scène, n'est jamais
lénifiant. Au contraire, les différents
flash-back et mises en abîme donnent un rythme
enlevé à son "reportage"...
Après
Rural, ceci constitue en effet une
deuxième incursion dans le domaine de la bande
dessinée documentaire, à mi-chemin entre
un travail de journaliste et celui de créateur. D'un
point de vue journalistique, on pourra juste reprocher une
légère approximation historique mais,
après tout, les autobiographies n'ont pas vocation
à être objectives... Elles ne sont que le
reflet des souvenirs de l'auteur passés par le prisme
déformant du temps.
Les Mauvaises
Gens est un jalon de plus dans l'oeuvre atypique
d'un auteur qui a, sans conteste, un des regards les plus
pertinents sur notre société, plaçant
par-là même Etienne Davodeau parmi les auteurs
majeurs.
Bientôt, des nouvelles de notre thèse de doctorat ( d'Etat
) sur "la
présence des missionnaires dans la BD : mythes et
réalités, de l'éloge à la
dérision"...
Ci-dessus, en promenade méditative, les frères
Croquignol, Filochard et Ribouldingue, quelque part dans le
bocage normand... 1905 (
année où fut votée, le 9
décembre, la loi sur la séparation des
Églises et de l'État. )
|
...
...................LES MAUVAISES GENS
|
Public : Ados -
Adultes
Catégorie :
Inclassable !
Scénario :
Davodeau (Etienne)
Dessin : Davodeau
180 pages en noir et
blanc
Editions : Delcourt
(Encrages)
|
|
Etienne Davodeau
Dessinateur et scénariste de
bande dessinée, Etienne Davodeau fonde en
1985 avec quelques amis le studio BD Psurde,
qui publie ses premiers travaux. La trilogie
Les Amis de
Saltiel (Dargaud, 1992-1994) le
propulse sur le devant de la scène. En 2001,
il signe un album atypique dans le paysage de la BD
contemporaine : Rural !
(Delcourt), véritable
reportage sur le monde agricole. Avec Les Mauvaises gens
(Delcourt, 2005), primé au festival
d'Angoulême, il confirme son choix d'inscrire
le réel au coeur de son travail :
« Mon intention était
surtout de raconter une histoire vraie en partant
d'un principe : la vie quotidienne est
constituée par essence d'histoires à
raconter ».
|
|
......................................En savoir plus
CONTEXTE,
éclairages...
Les années 50 dans une contrée
rurale et catholique du grand Ouest : la campagne
vendéenne des Mauges (contraction des
«MAUvaises GEnS»). Cette
étymologie malveillante des
«Mauges» désigne plus
précisément la région du
Maine-et-Loire, au sud d'Angers. Cette
étymologie trouve quand même des
justifications dans l'histoire ancienne : les Mauges sont au coeur de la
Vendée,
province farouche et sombre, dont on connaît
la révolte à l'époque de la
Révolution française et, plus
récemment, les luttes ouvrières dans
un pays fortement marqué par un catholicisme
conservateur.
C'est dans cette région
tourmentée qu'est né Etienne
Davodeau, il y a quarante ans. Enfants d'une
contrée à la fois catholique et
ouvrière, ses parents ont forgé leur
vie entre les deux pôles de l'Eglise et de l'Usine. Aujourd'hui, avec un
graphisme simple mais convaincant, leur fils
raconte cette vie de militants, ouvriers
catholiques et socialistes, à travers un
parcours atypique qui les mènera de
l'après-guerre à l'élection de
François Mitterrand. Le crayon lumineux de
Davodeau ressuscite un peuple de gauche...
profondément catholique ! Sans jamais
prendre parti ni juger de la validité des
opinions qu'il colporte, Davodeau livre un album
unique et vrai, un document ethnologique
dessiné qui ne rivalisera qu'avec l'un de
ses précédents ouvrages, Rural !, devenu un "classique"
très demandé en librairie.
Dans cette France encore proche mais
déjà révolue où l'on
parlait de syndicalisme aussi fièrement que
d'action catholique et où l'on arrivait
à concilier les deux (!), la reconstruction,
au lendemain de la guerre, s'avérait
prioritaire : les jeunes basculaient
précocement du système scolaire vers
les usines. Dans la région des Mauges,
encore affectée par les conséquences
du soulèvement royaliste de 1793, le
catholicisme, très présent, rendait
les esprits pour le moins dociles face aux
pressions patronales qui ne cessaient d'augmenter.
Mais, quand certains courbaient l'échine et
attendaient on ne sait quoi, d'autres relevaient la
tête pour se lancer corps et âme dans
l'action militante.
Ces derniers, gens ordinaires, ont eu
le courage de s'opposer aux pouvoirs de
l'époque : le patronat paternaliste et
l'Eglise... Celle-ci, paradoxalement, va permettre
à ces militants de
s'émanciper, avec des mouvements
comme la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne). L'auteur
évoque donc sans complaisance,
mais avec nuances et respect, le
rôle d'une Eglise divisée entre
clergé et patrons conservateurs d'un
côté, prêtres ouvriers et
militants ouvriers de l'autre. Il rend
justice à la JOC, racontant avec
nostalgie les réunions, les débats et
l'effervescence d'un monde enthousiaste, courageux,
vrai et créatif.
Toute une vie de lutte(s) nous est
ainsi décrite, de l'après-guerre
à un certain soir de mai 81... Dans ce
récit captivant renaît, sous le crayon
subjectif du conteur, le quotidien des gens simples
d'une région fortement marquée par la
ruralité, la «France d'en
bas». On devine, à bien des
indices, qu'Etienne Davodeau est allé
consulter les archives à l'instar d'un
historien.
Pour compléter l'apport de ses
recherches, Étienne Davodeau n'a qu'à
puiser dans ses propres souvenirs d'enfance et
à faire parler ses parents, Maurice et
Marie-Jo : tous deux ont été mis au
travail à l'âge de 14 ans. Ils doivent
leur prise de conscience et leur formation à
la JOC, la Jeunesse
Ouvrière Chrétienne, qui en a fait
des militants, malgré leur timidité.
Passés ensuite à l'A.C.O., l'Action Catholique Ouvrière, ils
deviendront syndicalistes à la CFTC, Confédération
française des
travailleurs chrétiens, dont
une frange donnera naissance plus tard à la
CFDT. Ensuite, Maurice
entrera en politique dans le Parti
socialiste, tandis que Marie-Jo militera dans
une Association de consommateurs. Bien des
lecteurs reconnaîtront sans peine dans ces
itinéraires leurs propres démarches,
aux choix similaires, sous des cieux pourtant
différents...
Enfin, l'éditeur ( Delcourt )
présente cet ouvrage comme un hommage
émouvant aux "gens
modérés et intègres qui ont
lutté avec un sens profond et humble de
l'intérêt collectif".
 
|
LIENS
Bien des sites
internet évoquent l'oeuvre graphique
d'Etienne Davodeau et plus particulièrement
cet album des "Mauvaises gens"... Voici un choix de liens parmi
d'autres...
Le
site officiel d'Etienne Davodeau
Une
critique ordinaire /
Page
Wikipedia
A
propos de "RURAL !"
|
La
BD chrétienne (clic)...Ed. du Cerf,
1994 Par Roland Francart , avec la
collaboration de Paule Fostroy.
Cet ouvrage, âgé
de 13 ans mais toujours disponible,
fournit un recensement intéressant
et une analyse pertinente, mais il demande
évidemment à être
complété, puisque bien
d'autres albums ont été
édités depuis sa parution
...
|
|
|