Modes de vie et urbanisation en Egypte

A propos des "villes nouvelles"... en 1906

Extrait d'une lettre de Pierre Teilhard de Chardin, à ses parents.

"Il y a huit jours, nous avons eu d'assez violents orages, succédant à une période passablement chaude. (...) Me trouvant ce jour-là en promenade dans le désert, j'ai atteint juste en même temps que l'ondée, et au milieu des tourbillons de poussière, une petite gare du chemin de fer de Matarieh; le train lui-même n'était pas un abri sûr; l'eau passait à travers les fissures des toits des wagons, et les compartiments étaient inondés. Ce jour-là, j'ai traversé les grands travaux de construction des "Oasis". Tel est le nom de deux petites cités modèles qu'un gros financier belge fait élever en plein désert, aux portes du Caire, environ à moitié chemin de Matarieh. Chaque petite cité sera isolée de toute habitation; les maisons qui la composeront devront toutes avoir un jardin et réaliser certaines conditions sanitaires et esthétiques. Un chemin de fer électrique ( de la société du Métropolitain) fera le service avec Le Caire. Le plan est beau, et pour le moment une des oasis est tracée. La première chose qui se bâtit est un gigantesque hôtel. Détail heureux : il y aura une église catholique en plein centre, très bien située, et cela de par la volonté du fondateur de l'entreprise. Reste à savoir si la vogue se mettra du côté de l'entreprise : et elle est la condition essentielle du succès. Il paraît qu'il y a déjà eu des spéculations effroyables, comme partout en ce moment au Caire sur les terrains où on bâtit. - Il y a assez longtemps qu'on travaille à cela; mais il me semble que je ne vous en ai pas encore parlé."

Le Caire, le 1er novembre 1906


Texte à rapprocher d'un extrait de
La Mort de Philae, de Pierre Loti - ouvrage rédigé à la même époque (1909)

L'entrepreneur dont parle Teilhard sans le nommer était un Belge, Edouard EMPAIN, grand-père de l'actuel baron Empain. Laissons Le Guide du Routard nous présenter, près d'un siècle après Teilhard, cette fameuse "Oasis", devenue aujourd'hui une grande banlieue du Caire... :

"Héliopolis ( la ville du Soleil, en référence au site antique de Matareyya, assez proche) a vu le jour au début du siècle. A l'origine, ce n'était qu'un vaste désert en bordure du Caire avant l'ambitieux projet immobilier d'Edouard Empain. Le grand-père de l'actuel baron Empain acheta, en 1905, quelque 23 millions de mètres carrés ( à 1 livre égyptienne les 4ooo mètres carrés, ça fait rêver ! ) à l'Etat égyptien ; il les divisa en lotissements et commença à construire maisons et immeubles. Voilà comment débuta cette grande aventure qui mena à l'entière construction d'une ville. Dès le début, il mit en place une ligne de chemin de fer et deux lignes de tramways ( toujours existantes, communément appelées métro ) pour que les Héliopolitains ne soient pas coupés du reste du monde. Tout fut étudié dans les moindres détails pour répondre aux besoins des habitants. Une cathédrale catholique ( appelée la Basilique, sharia Al-Ahram ) et plusieurs mosquées furent édifiées, ainsi qu'un vaste parc équipé d'un hippodrome ( le Merryland, sharia Al-Hegaz), un club à la mode anglaise où activités sociales et sportives s'harmonisaient ( l'Heliopolis Sporting Club, sharia Al-Merghani ). Beaucoup d' Européens et de Levantins ( Syro-Libanais, Palestiniens...) émigrèrent vers cette cité-jardin qui, aujourd'hui encore, a la réputation de compter une forte communauté copte et francophone.

Le coeur historique d'Héliopolis, Korba, garde l'empreinte des prouesses architecturales de l'époque. De savants mélanges de styles ont été osés, tous influencés par l'art arabe. Korba (dont on retient trois grands axes : les rues Baghdad, Al-Ahram et Ibrahim Lakkani ) surprend par ses arcades commerciales, ses élégantes villas aux jardins verdoyants, ses cafés qui jadis étaient chics, son cinéma en plein air (Normandy) et bien sûr, le plus étonnant de tous, son palais Empain, de style khmer, qui trône en bordure de l'une des plus fabuleuses avenues du Caire : El-Orouba, qui mène à l'aéroport.

Aujourd'hui, Héliopolis ( Masr El-Gedida, comme on l'appelle en arabe ) est habité par une classe moyenne et aisée. Cette ville, ( où se trouvent les deux aéroports et le palais présidentiel ) s'est considérablement étendue à partir des années 60 et les architectes ont complètement oublié toute forme d'esthétisme pour favoriser les gros blocs en béton, comme partout au Caire.

Pour les voyageurs qui en ont le temps, Héliopolis mérite qu'on lui consacre une journée. Loin des grands musées et des sites historiques, c'est une balade dans l'univers de la vie quotidienne.

Pour y aller, prendre le tramway ( le "petit métro vert " ), place de la Gare, midan Ramsès, et descendre à Roxi ou Ibrahim Lakkani ( le ticket, à 25 piastres, s'achète dans le tramway; vérifier sa direction auprès du contrôleur ). En taxi, cela vous coûtera quelque 8 livres égyptiennes. Sinon, le minibus n° 24 part de la place El-Tahrir et s'arrête à Roxi."

Le palais du baron Empain

Il a été construit en 1905 pour servir de résidence au baron lorsqu'il supervisait la construction d'Héliopolis. Ce fut le premier bâtiment en béton armé du Caire. Rien n'a été négligé : tous les détails architecturaux ont été réalisés en France puis transportés jusqu'ici. Le marbre vient d'Italie et le cristal de Tchécoslovaquie. Mais cette merveille architecturale a été laissée pendant 40 ans à l'abandon et son devenir est plus qu'incertain. Toutes les hypothèses circulent et pour cause; après avoir été confisqué par l'Etat, le palais a été vendu à un Saoudien qui voulait en faire un hôtel ! Aux dernières nouvelles, l'Etat égyptien aurait proposé de racheter le palais, mais nul ne sait quelle sera l'issue de ces propositions.

Voir aussi un intéressant article paru dans l'hebdomadaire égyptien en langue française, Al-Ahram hebdo, semaine du 5 au 11 juillet 2000 :

Palais du Caire : grandeur et décadence...Nostalgie : la dure vie de palace, pages 22 à 24.

Autre extrait d'une lettre de Teilhard, en date du 25 avril 1907

"Les "oasis" ou cités modèles de villas, dont de gros financiers ont lancé la fondation dans le désert au nord du Caire, se créent avec activité. Le plan général serait d'en échelonner six jusqu'à Suez. Pour le moment, on travaille à deux, la plus lointaine étant à une douzaine de kilomètres du Caire. On y met des sommes colossales ; la première contient un hôtel monstre, véritable palais de ciment armé dont la constructiuon a déjà coûté qqch. comme 60 000 livres ; il ne sera ouvert que dans un an au plus tôt, et déjà on a décidé pour dans un mois le commencement de la construction d'un hôtel encore plus grand dans la seconde oasis, avec création d'un petit lac pour sports ( jeux de toboggan sur l'eau). Notez qu'à part ces gigantesques constructions qui poussent, il n'y a pas encore une villa ni un habitant. Il faut qu'on escompte bien certainement le succès complet ; mais cela paraît à bien des gens un peu risqué.- Enfin, quand ce sera construit, et que les grands paquebots extra-rapides auront été lancés entre Marseille et Alexandrie, il n'y aura plus de raison pour que l'oncle Joseph ne vienne pas passer un hiver ici."

ESCAPADE

Lettres d'Egypte, de Pierre Teilhard de Chardin

Extraits

Préambule

A propos des vestiges pharaoniques

Scènes de la vie de collège

Progrès techniques

Scènes de la vie musulmane

Scènes et richesses du désert

Lien Biographie complète

Villes-oasis

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