Pierre TEILHARD de
CHARDIN
LETTRES D'EGYPTE ( 12905 - 1908 ) Extraits
AUBIER Editions
Montaigne 1963
|
Scènes et
richesses du désert
Le Caire,
17 décembre 1905
Cher papa et chère maman,
"(...) Le
désert n'a pas épuisé ses surprises. Jeudi
dernier, en allant assez loin dans la direction de
Suez, au milieu
d'un terrain jonché de bois silicifié, j'ai
rencontré un magnifique vautour en train de
déchirer un lambeau de charogne. A un ou deux
mètres derrière lui, cinq milans attendaient
respectueusement une miette dans une attitude parfaitement
humble, sans bouger. Ils paraissaient fort petits à
côté du vautour qui est bien le plus gros
oiseau en liberté que j'aie encore vu. J'ai pu
l'approcher à une trentaine de mètres, et j'ai
surtout remarqué sa tête claire ! Le reste du
corps était foncé sauf une bande sur les
ailes, quand il volait. Je saurai son nom chez
Inès bey, qui m'a déjà nommé les
oiseaux noir et blanc du Mokkatam. Ce sont
"Saxicola
lugens" et "Saxicola albipygaca". Comme les noms m'ont été
donnés sur description, je ne serai bien fixé
que quand j'aurai revu les spécimens
empaillés. Le même jour que le vautour, j'ai
rencontré une espèce de renard ou de
chacal
qui a brusquement apparu sur une côte, près de
nous, puis a détalé avec prestesse. Il avait
le port d'un loup, mais la queue très fournie, et je ne me
rappelle plus assez l'aspect du chacal pour être
sûr de mon fait. Il m'a également paru plus
grand et plus haut qu'un renard, mais vous ne
sauriez croire quelles erreurs
étranges on commet dans le désert sur la
proportion des objets, faute de point de
comparaison.
J'ai fait connaissance avec un
lieu assez fréquenté par des touristes
à âne, la "Source de Moïse", sorte de petite nappe saumâtre
située dans un creux de rocher au fond d'un cirque,
à l'est de Mokkatam. Le site
serait joli sans les tessons de bouteilles de champagne et
les traces des moutons et
chèvres qui viennent boire."
Le Caire, le
28 février 1907
Cher papa et chère maman,
"(...) Le Mardi Gras, suivant mon
intention, j'ai été dans le désert lybique,
un peu au sud des Pyramides de
Gizeh, et j'en suis revenu avec
une respectable cargaison de fossiles; il y a
là-bas des couches assez récentes
(pliocène)
datant de l'époque où la basse vallée
du Nil formait un fjord rempli par la mer, et on ramasse par
centaines des "coquilles
Saint-Jacques" qu'on croirait
avoir été déposées par la
dernière marée. Telle espèce
d'huître vit encore dans la Mer Rouge. Comme la
veille il y avait eu fort vent, j'ai trouvé,
abrités dans les anfractuosités, plusieurs
papillons qui avaient été chassés des
terres cultivées. J'en parlerai à
Biel,
en réponse à sa lettre. Cela m'invite à
y regarder à deux fois, avant de regarder une
espèce comme faisant partie de la faune
désertique. Par ailleurs, je continue avec
zèle à fouiller le Mokattam. Cette
dernière quinzaine, j'ai fait la tournée,
périodique et obligatoire, des carrières qui
bordent Le Caire, et j'ai quelques jolies choses, un
oursin
remarquable, entre autres. Les carriers ramassent certains
échantillons, mais à peu près
uniquement les dents de
squale, à cause de leur
brillant; et encore faut-il qu'elles soient grosses."
Page
d'accueil du Réseau Pléiade
RETOUR AU
SOMMAIRE
|
|
 
TOP EGYPTE
|