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La civilisation égyptienne
est l'une des premières à avoir inventé
l'écriture. Le moins que l'on puisse dire, c'est
qu'elle a abondamment utilisé cette invention. Le
goût de l'administration y est pour beaucoup. Dans
l'Egypte ancienne, tout est enregistré,
recopié, classé. Offices nationaux, temples,
domaines privés disposent de leur propre
administration qui note minutieusement tout ce qui se passe
et tout ce qui est produit ; on n'obtient rien sans demande
en bonne et due forme, ni sans pièces justificatives.
C'est dire l'importance du rôle joué par les
scribes au sein de la société
égyptienne... Encore faut-il avoir les
compétences requises pour exercer ce métier...
Comment devient-on scribe ?
L'art
d'écrire
Entrés à
l'école vers l'âge de dix ans. les
enfants n'y passent que quelques années, les
plus doués poursuivant leurs études
jusqu'à l'âge adulte. La
méthode des maîtres égyptiens
consiste en exercices de mémoire autant que
de lecture : les écoliers passent de longues
heures à psalmodier en choeur. L'art
d'écrire est acquis à force de copies
et de dictées, d'abord en cursives, puis en
hiéroglyphes. Les sanctions corporelles sont
efficaces, si l'on en croit le précepte
égyptien : "L'oreille du garçon est sur
son dos, il écoute quand on le bat !
"... Et pour les
cancres, la punition peut aller jusqu'à
l'emprisonnement !..
La carrière de
scribe est très recherchée, cette
profession étant la seule
considérée comme noble :
" Je te ferai aimer l'art
d'écrire plus que ta propre
mère...", peut-on
lire dans la Satire des métiers
*, qui nous donne une
vision humoristique des différents
métiers de l'Egypte.
* Au Moyen Empire (XIIè dynastie ), des
scribes ont écrit un texte, "La Satire des
métiers", qui passe en revue la plupart des
travaux des villes et des champs effectués
à leur époque.C'est une
véritable mine de renseignements pour
l'historien qui ne dispose par ailleurs que de bien
peu d'informations sur les métiers.
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Le scribe se
reconnaît facilement : assis par
terre, dans la position "du tailleur",
il a avec lui tout son matériel. Il dispose
de plusieurs supports pour écrire. Des
pierres, bien sûr, sur lesquelles sont
gravés les hiéroglyphes, mais
également un matériau souple, fin et
plus maniable, le papyrus. Dans sa main gauche ( s'il est
droitier, bien entendu ! ), il tient la partie
enroulée du papyrus, car les livres tels que
nous les utilisons sont alors inconnus. Les textes
sont écrits sur un rouleau que l'on
déploie au fur et à mesure de son
écriture ou de sa lecture.
Dans la main droite, il
serre le calame,
une tige de roseau taillée en biseau, qu'il
lui a fallu apprivoiser, avant de parvenir à
retenir suffisamment d'encre pour glisser sur le
feuillet. Sur l'épaule gauche, en
équilibre, il a juché sa
palette,
c'est-à-dire une plaque de bois
creusée de deux godets,
l'un pour l'encre noire, l'autre
pour l'encre rouge
qui met en valeur les points les plus importants.
L'écriture
égyptienne est complexe et, de ce fait, elle
n'est pratiquée que par des
spécialistes. Il faut des années pour
assimiler le système des hiéroglyphes et pour le maîtriser au point de
pouvoir soi-même l'utiliser. Aussi le temps
d'études est-il rude, nous l'avons vu, pour
les apprentis scribes, lorsqu'ils apprennent dans
la "Maison-de-vie",
auprès du temple ou du palais royal. On y
suit, sous le contrôle de maîtres,
divers degrés d'études, comparables
à ceux qui existent aujourd'hui chez nous,
de l'école primaire à
l'université.
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Les scribes forment une
caste puissante, car la maîtrise de
l'écriture les rend parfois aussi puissants
que le pharaon qui les emploie,
particulièrement lorsque ce dernier, se
contentant d'être un dieu, renonce à
apprendre à lire, écrire et
compter.
Mais, pour
préserver leurs prérogatives, les
scribes doivent inventer, à
côté du système
d'écriture hiéroglyphique dont les
signes fignolés exigent beaucoup de patience
et de minutie, deux autres formes
d'écriture, moins lentes, donc
adaptées à la vie courante et
à la rapidité de certains travaux. La
première écriture "cursive" -
qui court sur le
papyrus - semble
naître à peu près à la
même époque que l'écriture
hiéroglyphique. Elle est aussi
appelée "hiératique" ( du grec hiéros,
"sacré"
), ou "sacerdotale",
parce qu'elle aurait été, selon
l'historien grec Hérodote qui nous a transmis cette
désignation, utilisée à
l'origine par les prêtres. Cette
écriture présente les mêmes
caractères que l'écriture
hiéroglyphique (idéogrammes,
phonogrammes, déterminatifs), mais, souvent
liés entre eux, ils s'éloignent peu
à peu du dessin primitif.
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Vers 650 av. J.-C.,
alors que les hiéroglyphes et la cursive
"hiératique" ont toujours cours, apparaît une
cursive plus claire, rapide, ligaturée (
dans laquelle les lettres sont liées entre
elles ), et qui se lit, comme l'écriture
hiératique, de droite à gauche. C'est
l'écriture "démotique", ou "populaire",
qui va devenir courante en Egypte. Sur la fameuse
pierre de
Rosette à partir
de laquelle Champollion
découvrit le
secret des hiéroglyphes, figure le
même texte, écrit en
hiéroglyphes, en démotique et en
grec. Il est très difficile, pour un
non-spécialiste, de reconnaître,
à partir de caractères
démotiques, les hiéroglyphes
originels.
Nous avons pourtant,
aujourd'hui encore, trace de cette écriture
: de la même façon que la langue copte
a permis de retrouver la langue parlée par
les anciens Egyptiens, de même ont
survécu, dans l'écriture copte,
quelques caractères issus de
l'écriture démotique. C'est bien
pourquoi Champollion
disait que, pour comprendre l'écriture
hiéroglyphique, il fallait avant tout lire
l'écriture copte.
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Mais autant le
rôle des scribes est fondamental pour
l'Egypte ancienne, autant les excès et la
complexité de leur gestion administrative
s'avèrent nuisibles dans bien des domaines.
" On noircit tant de
papyrus que la paperasse finit
par étouffer l'activité. Dans
l'Egypte pharaonique, comme en bien d'autres temps
et en d'autres lieux, le goût trop
poussé de la perfection suscite une
bureaucratie
pesante qui tend à paralyser ce qu'elle
devrait en fait régulariser.
Déjà, on se plaint de la raideur des
"ronds de
cuir", des situations
cocasses dues à l'enchevêtrement des
règlements. Tel proteste parce qu'il est
taxé pour un personnel qu'il ne
possède pas ; on a appliqué à
ses quelques arpents de terre des normes valant
pour les immenses domaines des grands temples. Un
autre, responsable de l'exploitation d'une
carrière, s'étonne qu'on l'oblige
à conduire ses ouvriers à la capitale
pour les habiller, opération exigeant une
semaine, alors qu'un chaland vide passe
régulièrement près de la
carrière ; le chargerait-on des
vêtements bnécessaires, que six jours
seraient gagnés.
Qu'importe au
scribe, qui
appartient au cercle des privilégiés... Accroupi, le calame
à la main, un rouleau de papyrus sur les genoux, il aligne
imperturbablement chiffres et formules
administratives, comme on le lui a inculqué
à l'école. Fier de sa
compétence, conscient de son importance -
n'est-il pas indispensable à l'Etat ? -, il
entend se distinguer du paysan ou du travailleur
manuel dont il raille les déboires. A lui
les beaux habits, les honneurs, une situation assise, c'est le cas de le dire. Bien nourri,
déjà bedonnant, il s'admire
béatement d'être si
savant."
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Extrait de l'ouvrage de
Pascal VERNUS, Au temps
des pharaons, chap. sur le pouvoir : les scribes, page 38, Hachette éd.1978
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