H.D. THOREAU

WALDEN OU LA VIE DANS LES BOIS ( 1854 ) EXTRAITS


UN LOFT A L'ANCIENNE

Lorsque je me mis à faire du feu le soir, avant de plâtrer ma maison, la cheminée tira particulièrement bien, à cause des nombreuses fentes qui séparaient les planches. Encore passai-je quelques soirs heureux dans cette pièce fraîche et aérée, environné des grossières planches brunes remplies de noeuds, et de poutres avec l'écorce là-haut au-dessus de la tête. Ma maison, une fois plâtrée, ne me fut jamais aussi plaisante, bien qu'elle présentât, je dois le reconnaître, plus de confort. ( ... ) Je peux dire que j'habitai pour la première fois ma maison le jour où j'en usai pour y trouver chaleur autant qu'abri. J'avais une paire de vieux chenets pour tenir le bois au-dessus du foyer, et rien ne me sembla bon comme de voir la suie se former au dos de la cheminée que j'avais construite, de même que je tisonnai le feu avec plus de droit et de satisfaction qu'à l'ordinaire. Mon logis était petit, et c'est à peine si je pouvais y donner l'hospitalité à un écho ; mais il semblait d'autant plus grand que pièce unique et loin des voisins.

Tous les attraits d'une maison étaient concentrés dans un seul lieu : c'était cuisine, chambre à coucher, parloir et garde-manger ; et toutes les satisfactions que parents ou enfants, maîtres ou serviteurs tirent de l'existence dans une maison, j'en jouissais. Caton déclare qu'il faut au chef de famille ( pater familias ) posséder en sa villa champêtre " cellam oleariam, vinariam dolia multa, uti lueat caritatem expectare, et rei, et virtuti, et gloria erit ", ce qui veut dire " une cave pour l'huile et le vin, maints tonneaux pour attendre aimablement les heures difficiles ; ce sera à ses avantages, honneur et gloire." J'avais dans mon cellier une rasière de pommes de terre, deux quartes environ de pois y compris leurs charançons, sur ma planche un peu de riz, une cruche de mélasse, et pour ce qui est du seigle et du maïs un peck de chacun.

Je rêve parfois d'une maison plus grande et plus populeuse, debout dans un âge d'or, de matériaux durables, et sans travail de camelote, laquelle encore ne consistera qu'en une pièce, un hall primitif, vaste, grossier, solide, sans plafond ni plâtrage, avec rien que des poutres et des ventrières pour supporter une manière de ciel plus bas sur votre tête, - bonne à préserver de la pluie et de la neige ; ( ... ) une maison caverneuse, à l'intérieur de laquelle il faut élever une torche au bout d'un bâton pour prendre un aperçu des combles ; où les uns peuvent vivre dans la cheminée, d'autres dans l'embrasure d'une fenêtre, d'autres sur des bancs, tels à une extrémité du hall, tels à une autre, et tels en l'air sur les poutres avec les araignées, si cela leur chante ; une maison dans laquelle vous êtes dès que vous en avez ouvert la porte d'entrée, et que la cérémonie est faite ; où le voyageur fatigué peut se laver, manger, causer, dormir, sans poursuivre aujourd'hui plus loin sa route ; tel abri que vous seriez content d'atteindre par une nuit de tempête, contenant tout l'essentiel d'une maison, et rien du train de maison ; où d'un regard s'embrassent tous les trésors du logis, où pend à sa patère chaque chose nécessaire à l'homme ; à la fois cuisine, office, parloir, chambre à coucher, chambre aux provisions et grenier ; où se peut voir telle chose aussi nécessaire qu'un baril ou une échelle, aussi commode qu'un buffet, et s'entendre le pot bouillir ; où vous pouvez présenter vos respects au feu qui cuit votre dîner ainsi qu'au four qui cuit votre pain ; une maison dont les meubles et ustensiles indispensables sont les principaux ornements ; d'où l'on ne bannit ni la lessive, ni le feu, ni la bourgeoise, et où il vous arrive qu'on vous prie de vous écarter de la trappe si la cuisinière descend à la cave, grâce à quoi vous apprenez où le sol est solide ou creux au-dessous de vous sans frapper du pied.

 
Une maison dont l'intérieur est tout aussi ouvert, tout aussi manifeste qu'un nid d'oiseau, et où l'on ne peut entrer par la porte de devant pour sortir par la porte de derrière sans apercevoir quelqu'un de ses habitants ; où être un hôte consiste à recevoir en présent droit de cité au logis, non pas à se voir soigneusement exclu de ses sept huitièmes, enfermé dans une cellule à part, et invité à vous y croire chez vous, - en prison cellulaire. De nos jours, l'hôte ne vous admet pas à son foyer, mais a pris le maçon pour vous y construire un quelque part dans sa ruelle, et l'hospitalité est l'art de vous tenir à la plus grande distance. La cuisine est entourée d'autant de mystère que s'il avait dessein de vous empoisonner. Je sais être allé sur le bien-fonds de plus d'un homme, et que j'aurais pu m'en voir légalement expulsé, mais je ne sache pas être allé en la maison de beaucoup d'hommes. Je pourrais rendre visite sous mes vieux vêtements à un roi et une reine qui vivraient simplement en telle maison que j'ai décrite, si je passais de leur côté ; mais sortir à reculons d'un palais moderne sera tout ce que je désirerai apprendre si jamais l'on me pince en l'un d'eux.

Henry David THOREAU, WALDEN OU LA VIE DANS LES BOIS,

coll. L'IMAGINAIRE, éd. GALLIMARD 1922 - rééd. 1994, pp. 240 à 243.......


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