"La première peinture fut seulement une ligne qui entourait l'ombre d'un homme, faite par le soleil sur le mur".

Léonard de Vinci, CARNETS

Ombres chinoises figées sur un mur longeant le parking d'un supermarché de Villé *, les silhouettes se dirigent vers ce dernier d'un pas ferme et résolu, toutes générations confondues, peuple d'éternels affamés, taraudés par des besoins jamais satisfaits, par des tentations toujours nouvelles... attirés par la "grande surface" commerciale du secteur, véritable "Temple" du Consumérisme triomphant... On ne peut que leur emboîter le pas, mêler nos ombres aux leurs, se confondre avec elles, s'y perdre - se perdre ?...

 

L'artiste ne s'y est pas trompé : les silhouettes qu'il trace sur le crépi sont les nôtres. D'un bout à l'autre de la "pyramide des âges", ces êtres en quête perpétuelle nous renvoient notre propre image, à la manière d'un miroir, mais de profil, "en marche", silhouettes paisibles, "glissant" presque sans effort, comme sur une vague ultime, vers le port tout proche, pèlerins anonymes aux traits et contours baignés du flou nécessaire pour que chacun puisse s'y retrouver... Autant de clins d'oeil invitant à la "fête obligatoire" et universelle de la consommation standardisée...

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SILHOUETTE, n.f. ( de Silhouette, contrôleur des finances que l'on ridiculisa par ce procédé... 1759). Dessin de profil, en suivant l'ombre projetée par le visage : "portrait à la silhouette". Par ext. Dessin d'une teinte uniforme, dont le bord seul se détache du fond.

Nouveau Petit Larousse illustré, "Je sème à tout vent", 1924, p. 956.

 

La silhouette se caractérise par son manque de profondeur : elle relève d'un monde en deux dimensions, d'où sont bannis reliefs et lumières, le peintre préférant porter tous ses efforts sur les contours, en opposant des figures sombres et monochromes à un fond plus clair...

 

 

Le recours à cette technique de "représentation" renvoie à l'une des origines mythiques de la peinture. Selon PLINE l'ANCIEN, la fille du potier Boutadès de Corinthe, amoureuse, comme il se doit, contemple, un jour, fascinée, l'ombre de son amant sur un mur...

Puis, avec un charbon, elle trace la ligne qui circonscrit la superficie de l'ombre. Elle fixe ainsi la forme fugitive, éphémère de celle -ci, projetée sur une surface plane, et l'arrête en une silhouette...

Si l'origine de la peinture est rêvée, par certains, à partir d'une histoire d'amour et de murs ayant pour cadre la Grèce antique, on peut aussi remonter aux temps préhistoriques pour rapprocher cette fresque de celles qui ornent les parois des grottes d'Altamira (Espagne), de Lascaux ou de Chauvet ( sud de la France )...

La présence insistante d'un "accessoire" aussi banal que la cigarette - volutes de fumée en prime - est destinée à "faire vrai", à provoquer cet effet de réel également produit par l'impression de "mouvement" qui se dégage de ces personnages "en marche", sans oublier le foulard flottant au vent... Ces figures stylisées ont la présence vivante des clichés dits "instantanés" qui ont consacré la photographie comme "art du réel" et ont, du même coup, "libéré" la peinture, trop figurative aux yeux de certains et chargée désormais de remplir d'autres missions que celle de reproduire la simple réalité visible : vaste débat...

En tout cas, seule la photographie a permis de "fixer" ce mur peint tel qu'il était hier, avant de disparaître...

L'usure du temps, l'effritement de la vie - sous l'effet conjugué des intempéries, vent, froid ou pluie, l'âge ou la maladie - marquent les murs comme les hommes de leurs inévitables symptômes : rides et craquelures, failles et fissures, boursouflures, blessures parfois, tout nous rappelle , sur un mur peint vieilli, que, nés de la poussière, nous retournons à la poussière...

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Cette fiche technique sur les silhouettes disparues de Villé annonce un nouvel atelier d'écriture contemplative... :

Le mythe de la Caverne

Cette présence discrète de l'artiste, légèrement au dessus de son oeuvre, n'est-ce pas un peu celle, distante et proche à la fois, du "Père céleste", du "Grand Esprit Créateur", niché quelque part dans les limbes mais vigilant, tapi dans les coulisses du "théâtre", derrière ses "créatures" invitées à vivre leur propre liberté, sur la Terre, sur la Pierre ?...

* Villé, à 15 kms de Sélestat ( Bas-Rhin ), est une commune d'environ 2000 habitants. Centre touristique et commercial de la vallée dite Val de Villé, elle est située dans un large bassin, au débouché de plusieurs vallons dont les ruisseaux forment le Giessen.

Textes et photos Pléiade

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