Maxime
Alexandre et
Joseph Delteil
:
deux
DESTINS parallèles...ou opposés
?
Rapprochement : ...
à l'autre bout de la France, dans le Sud-Ouest,
près de Montpellier, un certain Joseph DELTEIL
( 1894 - 1978 ) a marqué la littérature
française - tant régionale que nationale ...
De retour dans son pays natal, après dix folles
années à Paris ( de 1920 à 1930 ),
Joseph DELTEIL y passera "le
reste de son âge", un peu
plus de quarante ans... :
"Il y avait, à
quelques kilomètres de Montpellier, "une espèce de vieille
métairie à vins, à lavandes et à
kermès" : la Tuilerie de
Massane. C'est là où, jusqu'à sa mort
en 1978, on pouvait rencontrer Joseph DELTEIL,
venu s'installer avec sa femme Caroline, après dix
années folles passées à Paris à
construire une gloire d'écrivain à scandale.
C'est là, dans sa "Deltheillerie", qu'il a
tissé un à un, patiemment, les fils d'or de sa
légende. Le jeune poète symboliste,
couronné d'entrée par l'Académie
française, se métamorphosera en romancier
à la mode. Le fonctionnaire du ministère de la
Marine, applaudi par les surréalistes après
son CHOLERA, sera rejeté par les mêmes
après JEANNE
D'ARC, prix
Fémina 1925. La locomotive parisienne des
années vingt choisira, en 1961, pour la publication
de ses Oeuvres
complètes, de ne
garder que six des trente livres composant son oeuvre.
L'ermite engagé reçoit chaque jour à sa
table le soleil et le plaisir, ainsi que l'ami Henry MILLER
quand il passe par là.
Evadé à
vingt-cinq ans de son Midi natal, Delteil y est
retourné vivre "le reste
de son âge". Mais c'est
à Paris qu'il a eu lieu. Et au terme de cette enquête
biographique à la recherche du "vrai Delteil",
on se trouve une fois de plus, loin des images, loin des
souvenirs, au coeur de l'affaire des mots. Avec cette
évidence dès l'origine : pour Delteil, le Graal, c'est
l'écriture."
Robert
BRIATTE Joseph Delteil, qui êtes vous
? la manufacture 1988 .
L'arrivée de
deux provinciaux à PARIS
et l'insertion
dans les milieux artistiques et intellectuels...Repérages.
Comparaisons d'extraits
issus des mémoires de Joseph Delteil (
La
Deltheillerie, 1963 ) et de
Maxime Alexandre ( Mémoires d'un
Surréaliste, 1968
)
Du côté de Joseph Delteil... qui débarque
dans la capitale en 1922
"A Paris,
m'attendait la Révolution, la
Révolution artistique. Tout bouge, fermente,
explose. Des bandes de phénomènes,
affamés de beauté, fous de
génie, fourmillent, s'agitent, palabrent,
vocifèrent. Toute une faune de toutes races
et de toutes couleurs, venant de toutes les
provinces et de tous les continents. Tous accourus
à Paris pour la grande curée, pour le
grand départ. Paris était en pleine
effervescence, en pleine bataille spirituelle. La
guerre de 14-18, cette sanglante guerre de quatre
ans dans la boue des tranchées ( un million
et demi de morts) avait rompu toutes les amarres,
disloqué les vieilles structures, fait une
véritable coupure dans le temps.
Désormais il y avait l'Ancien Temps et le
Nouveau Temps. Les choses d'avant-guerre nous
semblaient vraiment préhistoriques, les
écrivains d'avant-guerre des fossiles. Pour
une fois, les événements
eux-mêmes avaient fait table rase. La vie
recommençait à zéro,
c'était le premier matin du monde. Le temps
des condotierri et des conquistadores.
Nous nous sentions
libres et nus, des pionniers. Chacun allait de
l'avant, tout armé de ses instincts. Les
ismes pullulaient : dadaïsme, futurisme,
orphisme, unanimisme, simultanéisme,
expressionnisme, surréalisme, etc. Ah ! la
belle époque !
Etais-je dada,
surréaliste, ou quel -iste ? plutôt
dada en somme, au commencement. En
vérité tout le monde était un
peu de tout, à cette
époque-là. J'ai vu Breton dada et
Paul Valéry surréaliste (Gide
flirtait avec tous les jeunes ismes). Aujourd'hui;
après coup, on a voulu classer tout cela,
donner des numéros, des grades, mais alors,
à chaud, ce n'était qu'un
bouillonnement de sève, une espèce de
cosmos en expansion,une genèse. On
était révolutionnaire, voilà
tout, la révolution littéraire,
s'entend. Il s'agissait d'abord de jeter bas tout
l'ancien monde, l'injuste, le caduc. Ensuite, on
verra."
Joseph DELTEIL,
La
Deltheillerie
éd. Grasset 1963
réed. Grasset,
coll. Les Cahiers
Rouges,
1996, pp.
79-80
"Dans toute cette
effervescence, il y avait en gros deux tendances
générales, deux courants principaux.
D'un côté, les littéraires, les
stylistes ( essentiellement des prosateurs ) (...),
de l'autre, un mouvement idéologique,
dadaïsme, suurréalisme, des hommes de
tête et de pensée l'état-major
( d'ailleurs plutôt poètes
curieusement, si philosophes qu'ils
fussent.)"
Joseph Delteil,
La
Deltheillerie, Cahiers Rouges, p. 81
"Par nature,
j'étais plus charnel que
cérébral - pas plus
cérébral qu'un cèpe dans la
mousse ou qu'un pinson sur la branche. Ce qu'il y
avait à mon goût de trop
systématique dans le surréalisme, de
trop freudien, voire de trop marxiste, j'y
regimbais avec mon "surréalisme en sabots" (
paysan à pied et surréaliste à
cheval). En réalité, ce que nous (1)
voulions c'est l'aggiornamento du langage, et qu'il
ne soit plus un lot d'étiquettes, un jeu de
miroirs, mais un organe d'engendrement en chair et
en os. Que chaque phrase ait un nez, des oreilles,
une belle paire d'yeux. Peu
préoccupés d'idéologie ou de
politique, nous "travaillions dans la phrase" : la
phrase, l'unit"é de mesure de la prose
française. (...) Parallèlement au
cubisme en peinture, nous voulions un cubisme du
langage. (...)
Telle fut la
bataille du style : les sensibles, les Girondins ,
contre les Montagnards ; l'esprit de saveur contre
l'esprit de rigueur ; le nouveau style ou l'esprit
nouveau. L'un étant épanouissement de
la parole, volupté du verbe, l'autre
volonté métaphysique, "le
fonctionnement réel de la pensée",
Breton dixit ( il y a du Descartes dans le
surréalisme). Toujours la vieille querelle
entre la foi et les oeuvres."
Joseph
Delteil, La Deltheillerie, pages 83 - 84, in Cahiers Rouges , Grasset
1996
(1)"nous" = les "prosateurs", les
"stylistes", les "littéraires", face aux
"cérébraux" surréalistes...)
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Du côté de Maxime Alexandre qui rejoint Paris en
1923
...Dans une
interview que je lis dans un hebdomadaire,
Christiane Rochefort déclare que le plus
grand regret de sa vie, c'est de n'avoir pas pu
participer aux merveilleuses années du
début du surréalisme. Heureusement, cela me fait rire,
ce qui prouve que je commence à devenir
capable d'un certain détachement
vis-à-vis de moi-même ; il y a peu de
temps encore, un propos de ce genre m'aurait fait
bondir. Peut-être Christiane Rochefort
s'imagine-t-elle que nous étions
confortablement réunis auprès d'un
beau feu de bois où mijotait un romantisme
trempé dans un bouillon de myrte et de roses
? Je suis navré de la détromper.
S'imagine-t-elle vraiment qu'il était
tellement réjouissant de vivre dans la
révolte contre les systèmes de
pensée en cours, les uns plus
éculés que les autres ? Pour en
finir, Mme Rochefort, dont le regret du
surréalisme, au demeurant, mérite le
respect, croit-elle que ce fut simple
désinvolture si la revue du mouvement,
"La
Révolution
Surréaliste", prit son départ par une
enquête sur le suicide ?"
Maxime
Alexandre,
Mémoires d'un
Surréaliste, page 44
éd. la Jeune Parque, 1968
"...J'étais
malheureux. J'avais peu d'argent et
l'appétit de l'impossible. C'est d'ailleurs
cette insatisfaction fondamentale, il convient de
le souligner, qui me rapprochait d'Aragon, en
dépit de nombreuses dissemblances, et cette
insatisfaction sera au départ le trait
commun des surréalistes. Les garde-fous,
solidement implantés le long du chemin par
les soins de nos devanciers, nous empêchaient
de respirer. Je me battais contre la
société et sa morale, contre la
littérature, l'art et ses gardiens, et
contre...moi-même. Il s'y ajouta qu'aucune
présence féminine ne me donnait la
force de dominer mon désarroi."
Maxime Alexandre,
Mémoires, page 65
"Que
cherchions-nous ? (...) La colère et
l'enthousiasme, le ricanement devant l'art et la
morale en cours, aussi bien que le goût du
mystère se ramenaient à un
dénominateur commun, la contestation d'un
langage. Pour le recréer, nous attendions
tout de la poésie, qui m'avait prouvé
sa puissance dans le jardin de Wolfisheim,
où j'avais vu des anguilles qui jouaient aux
billes, et
un serpent qui
mettait ses gants,
comme dit une comptine, tout comme elle l'avait
prouvée à Aragon dans un bazar
où il avait vu une femme nue sortir d'une
tirelire."
Maxime
Alexandre,
Mémoires,
page 69
Ne me sentant aucune
vocation ni aucune responsabilité
d'historien de la littérature, je dirai
dès maintenant surréalistes pour désigner Aragon,
Breton et le groupe autour d'eux, sans
m'arrêter aux objections de ceux qui
prétendraient, du reste à tort, que
c'est dadaïstes que je devrais dire, ou que le
mot nouveau ne fut prononcé qu'un an plus
tard ; le public, lui, ne l'a connu, en effet,
qu'en 1924, date de la publication du "Manifeste du
Surréalisme" d'André Breton."
Maxime Alexandre,
Mémoires, pages 69-70
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COMMENTAIRES personnels
: on constate, à travers cet
éclairage mutuel, que Joseph DELTEIL se classe
d'emblée parmi les "littéraires, stylistes,
prosateurs",
préoccupés de renouveler le seul langage, à l'image de la transformation
radicale ( révolutionnaire ) de cet autre moyen
d'expression qu'est la peinture - à savoir le
cubisme... Il s'oppose ainsi au mouvement
surréaliste, où il discerne surtout, lui, le
"paysan charnel", des "philosophes"
paradoxalement "poètes"... Face à lui, Maxime Alexandre et
ses amis ( notamment Aragon, qui devient
"hégélien" à cette même
époque ) partagent ce
désir d'un nouveau langage, mais en préférant,
effectivement, la double voie de la "poésie"
et de "l'idéologie" : poètes et philosophes,
poètes bien
que philosophes, dans un
curieux alliage de "rigueur
cérébrale" et
d'"appel aux sens" ... Deux camps s'affrontent alors : celui de
la "prose", de la
"SAVEUR", " des Morand,
Montherlant, Giraudoux, Pierre Mac Orlan, François
Mauriac, Blaise Cendrars, Valéry Larbaud, Jean
Cocteau, etc." ...à quoi
Joseph Delteil apportait, selon ses propres dires,
" la note rustique", lui, "le seul
paysan de la bande", car
"ils sont tous bourgeois,
là-dedans !"... Et le
camp de la
"poésie"-
mais aussi de la "RIGUEUR" - où
Maxime Alexandre, aux côtés des poètes
"cérébraux" - Aragon, Desnos, Breton... - se
sent peut-être aussi un peu "paysan" dans
l'âme : il cite volontiers son village natal de
Wolfisheim pour évoquer sa faim d'une poésie
"révolutionnaire"
et rappelle constamment ses origines
campagnardes...(*) Ce jeu de contrastes et de paradoxes
mêlés à quelques similitudes est donc
bien la marque d'une époque confuse et agitée,
celle de l'après-guerre, des années vingt
où les arts sont le cadre d'aventures collectives
bouleversantes : le "bouillonnement" et "l'effervescence" d'une "genèse", selon les propres termes de Delteil... Dans
le même temps, il est vrai, Maxime Alexandre, s'affirmant "malheureux" en
ces années-là, rappelle que le
surréalisme fut avant tout une révolte dont le
premier acte journalistique sera une enquête sur le
...suicide ! De la "genèse"
au "suicide", deux extrêmes ( qui se touchent ?
)... En tout cas, face à l'enthousiasme de
Delteil le
"Sudiste", qui vit cette
période comme une nouvelle Renaissance, Maxime Alexandre le "Nordiste" semble avoir le surréalisme
plutôt triste et tourmenté, davantage
marqué par les affres de la fin d'un monde que par la
griserie du renouveau... ( A
suivre )
Note
: (*) A propos de sa découverte
de Paris sous la férule de Louis Aragon, Maxime
Alexandre écrit : "En me rendant attentif aux divers aspects
du mystère urbain : enseignes lumineuses, mannequins
de cire des magasins, affiches baroques, louches
entrées d'hôtel, Aragon essaya de me rendre
accessible, moi qui
n'étais sensible qu'aux plaisirs
champêtres,
à la beauté moderne, telle que Rimbaud l'a
définie dans "Une Saison en enfer" : " J'aimais les peintures idiotes, dessus de
portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes,
enluminures ; la littérature démodée,
latin d'église, livres érotiques sans
orthographe, romans de nos aïeules, contes de
fées, petits livres de l'enfance, opéras
vieux, refrains niais, rythmes naïfs." J'applaudissais au programme,
seulement je ne l'interprétais pas tout à fait
comme lui, pour la raison très simple que
je me suis
toujours senti malheureux à la ville. Tout mur
m'emprisonne, tout rassemblement humain me fait perdre la
tête."
Maxime Alexandre,
Mémoires d'un
Surréaliste, Cahiers
Rouges, Grasset 1968, pags 50-51
(A
SUIVRE...)......................Dossier Joseph
DELTEIL
(début )
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