L'Amérique après les voyages
de Christophe Colomb
Parmi les Espagnols de
l'île Hispaniola, il y a un
homme encore jeune. Il a débarqué dans
l'île en 1502, âgé de 28 ans. A lui aussi
on a distribué des terres et des Indiens. Il les
traite aussi humainement qu'il peut. Ses affaires marchent
bien ! Pendant dix ans, il mène la vie joyeuse
et facile d'un gros
propriétaire. Il s'appelle Bartolomé de Las Casas...
Le sermon du
père Montesinos
A la fin de l'année 1511,
la ville de Saint-Domingue, capitale de
l'île Hispaniola, est en
révolution. Beaucoup de gens sont furieux du sermon
que le père
Montesinos a fait dans la
cathédrale, le dimanche avant Noël. Il a
déclaré :
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"De quel
droit réduisez-vous les Indiens en esclavage
? Je vous avertis : si vous ne rendez pas aux
Indiens les terres que vous leur avez
volées, si vous ne leur rendez pas la
liberté, nous ne pourrons pas vous pardonner
vos péchés quand vous viendrez vous
confesser, et nous vous interdirons de communier
à la messe."
Bartolomé trouve que le père Montesinos exagère ! Il pense que les
Espagnols devraient mieux traiter les Indiens
qu'ils font travailler, mais qu'on ne peut pas leur
interdire de réaliser de bonnes affaires
dans les terres qu'ils ont
découvertes.
Bartolomé devient
prêtre
En l'année 1512,
à 38 ans, Bartolomé devient prêtre. Il en avait
toujours eu l'idée. Il va vivre dans
l'île de Cuba.
Accompagnant, en qualité d'aumônier,
un capitaine espagnol chargé de
réprimer une révolte d'Indiens, il
est témoin de massacres et de
cruautés qui le scandalisent.
Pourtant il accepte de
recevoir du gouverneur de bonnes terres et, pour
les cultiver, la population de tout un village
d'Indiens... si bien qu'il recommence à
faire de bonnes affaires...
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La conversion de
Bartolomé
En 1514, à 40 ans,
Bartolomé
change brusquement sa manière de penser et son mode
de vie. Il a raconté lui-même comment cela
s'est passé :
"Un jour, je
préparais mon sermon pour la fête de la
Pentecôte, et je lisais la Bible. Je suis tombé
sur ce passage : "L'offrande de ceux qui commettent
l'injustice n'est pas agréable au Seigneur. Celui qui
offre à Dieu ce qu'il a volé aux pauvres,
c'est comme s'il sacrifiait un enfant sous les yeux de son
père." Alors
j'ai compris que le père Montesinos avait raison.
Voler aux Indiens leurs terres, réduire ces gens en
esclavage, c'était une grande injustice. Il ne
servait à rien de faire des prières, de se
confesser, d'aller à la messe et de communier, si
l'on continuait à vivre dans ce grand
péché d'injustice.
J'ai
continué à réfléchir,
pendant des jours et des semaines. Finalement, j'ai
décidé d'annoncer à tout le
monde que je rendais mes terres aux Indiens et la
liberté à mes esclaves. Je l'ai
annoncé au cours du sermon prononcé
à l'occasion de la grande fête du 15
août. Et j'ai dit à ceux qui
m'écoutaient qu'ils devraient m'imiter s'ils
voulaient vivre en chrétiens. Ce fut un beau
scandale. On aurait dit que je leur demandais
de rendre la liberté à leurs animaux
domestiques." A partir
de ce moment, Bartolomé se consacre entièrement à
la défense des Indiens. Il
retourne en Espagne, y rencontre le roi auquel il
affirme que lui, le roi, a sa part de
responsabilité dans les crimes et les
injustices qui se commettent dans les colonies
espagnoles d'Amérique. Le roi l'écoute avec attention.
Il lui confie la mission de faire tout ce qu'il
peut en faveur des Indiens et lui donne le titre de
"Défenseur des
Indiens".
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Echecs et
découragement
Bartolomé
retourne à Hispaniola. Mais
personne ne l'écoute. Il ne peut rien faire pour
défendre les Indiens. Aussi, une
nouvelle fois, il rentre en Espagne. Partout
où il le peut, il dénonce les injustices
commises par les Espagnols.
Un jour, il rencontre un
évêque
nommé Quevedo. Lui aussi
revient d'Amérique. Mais il n'est pas d'accord avec
Bartolomé. Ils
décident tous les deux d'organiser une discussion
devant le roi. Au cours de cette réunion, ils
exposeront chacun leur point de vue.
( cf. l'ouvrage de Jean-Claude
Carrière, La
controverse de Valladolid, qui a été adapté
à l'écran... et sera exploité en
Seconde Amérique
dans le cadre de la
séquence "Etre
autre" - convaincre, débattre et
persuader- ainsi qu'en
Première ES2...)
Quevedo commence
à parler :
" Les Indiens
d'Amérique sont une race inférieure. Il est
naturel qu'ils soient les esclaves des espagnols. "
Bartolomé réplique avec force : "Vous êtes dans un grave état
de péché, évêque ! Vous n'avez
pas fait comme le bon pasteur, qui donne sa vie pour ses
brebis ! Les Indiens sont des hommes comme nous. Ils ont
droit à la liberté comme nous ! Ils peuvent
devenir des chrétiens comme nous. Comment supporter
l'injustice qui leur est faite, alors que notre Seigneur
Jésus-Christ est mort pour tous les hommes ?
"
Le roi Charles - futur empereur
Charles-Quint - est impressionné par les arguments de
Bartolomé.
Mais il est plus préoccupé de son
élection comme empereur d'Allemagne que des Indiens
d'Amérique. Bartolomé
retourne en Amérique. Il emmène avec lui 70
agriculteurs espagnols pour aider les Indiens à mieux
cultiver leurs terres. Le gouvernement espagnol lui a permis
de tenter son expérience dans un vaste territoire au
Venezuela.
Une nouvelle fois, c'est un
échec. Les Espagnols qu'il a
emmenés préfèrent s'enrichir rapidement
en faisant travailler les Indiens comme des
esclaves.
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Bartolomé est découragé. Se
souvenant alors du père Montesinos, il va le voir à Saint-Domingue et
décide de devenir comme lui un père
dominicain... A partir de son entrée dans
cet ordre religieux fondé par saint
Dominique au 13è
siècle, on l'appelle le "père
Bartolomé".
Pendant dix ans, on n'entend plus beaucoup parler
de lui. Il prie. Il étudie...
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Quand le pays
de la guerre devient le pays de la paix
Pendant ce temps, les
Espagnols ont continué la conquête de
l'Amérique. Ils ont constitué un immense
empire : le Venezuela et le
Pérou,
l'Amérique
centrale et le Mexique.
En 1535, le père Bartolomé décide de partir pour le Pérou. Son bateau s'échoue sur la côte du
Nicaragua. Des Espagnols lui disent :"Si tu veux t'occuper des Indiens
et les convertir au Christ, va donc dans le pays voisin du
nôtre. Les gens y sont tellement féroces que
nous appelons cette région : le pays de la guerre."
Ce "pays de la guerre" est
celui qu'on appelle maintenant le Guatemala.
Bartolomé
accepte. Il prend avec lui quelques dominicains et
franciscains. Ils
s'installent tout près de ce fameux "pays de la guerre". Ils rencontrent quelques uns de leurs habitants,
entretiennent de bons rapports avec eux et apprennent
à parler leur langue. Ils composent dans cette langue
des chants qui racontent la vie de Jésus et
d'autres passages de la Bible.
Progressivement, ils pénètrent dans le pays.
Ils sont très bien reçus par les habitants,
dont ils deviennent les amis. Certains demandent le
baptême.
Dix ans après, le
"pays de la
guerre" est devenu le
"pays de la
paix". Le père Bartolomé a maintenant 73 ans. Il a connu son premier grand
succès. Mais ce résultat ne le satisfait pas.
Il sait que partout ailleurs on continue à maltraiter
les Indiens, à leur infliger des travaux
forcés, à les massacrer... Il rentre une
dernière fois en Espagne. Il va
continuer à défendre les Indiens
autant qu'il le peut. Il rédige de nombreux livres
où il explique toutes les injustices commises dans
les colonies espagnoles d'Amérique.
Il meurt en 1566,
âgé de 92 ans.
Extraits
des écrits de Las Casas
"Les Espagnols se
comportèrent à la manière des tigres et
des lions les plus cruels, lorsqu'ils sont affamés
depuis plusieurs jours.
En quarante ans sont
morts, à cause de la tyrannie espagnole, plus de
douze millions d'êtres vivants, hommes, femmes,
enfants.
La raison pour
laquelle les chrétiens ont détruit une si
grande quantité d'êtres humains a
été le désir insatiable de l'or,
l'envie de s'emplir de richesses."
D'après Relations des voyages dans les Indes
Occidentales, Bartolomé de Las
Casas
La plume des Indiens : le témoignage "in situ" de
Bartolomé de Las Casas
sur le génocide
perpétré lors de la conquête des
Amériques est enfin traduit... :
BARTOLOME DE
LAS CASAS, Histoire des Indes, Seuil
2002, trois tomes, 1077 pages... Une oeuvre monumentale sur
les Indes sanglantes.
"Ceux qui sont allés là-bas et se
disent chrétiens ont eu principalement deux
manières habituelles d'extirper et de rayer de la
face de la terre ces malheureuses nations. L'une en leur
faisant des guerres injustes, cruelles, sanglantes et
tyranniques. L'autre, après avoir tué tous
ceux qui pourraient désirer la liberté,
l'espérer ou y penser, ou vouloir sortir des
tourments qu'ils subissent, comme tous les seigneurs
naturels et les hommes (...). en les opprimant dans la plus
dure, la plus horrible et la plus brutale servitude à
laquelle on a jamais soumis hommes ou bêtes. (...) Si
les chrétiens ont détruit tant et tant
d'âmes et de telle qualité, c'est seulement
dans le but d'avoir de l'or, de se gonfler de richesses en
très peu de temps et de s'élever à de
hautes positions disproportionnées à leur
personne. A cause de leur cupidité et de leur
ambition insatiable, telles qu'il ne pouvait y en avoir de
pires au monde..."
Extrait de "Très
Brève Relation de la destruction des
Indes",
Bartholomé de las Casas. - éd. La
Découverte / Poche. - 40 Fr / 6,10 euros
CHIFFRES
44 millions d'indiens en
Amérique latine
Lors de la découverte de
l'Amérique, les Indiens étaient environ 100 millions sur l'ensemble du
continent. Un siècle et demi plus tard, ils
n'étaient plus que 4,5
millions. Ils sont aujourd'hui 47 millions dont plus de 44 en Amérique latine.
Un grand poète du
Chili, Pablo Neruda,
mort en 1972, a rendu hommage au père Bartolomé de Las
Casas.
Lorsque
l'inquiétude grandit
et franchit
avec moi le seuil de ma maison,
une
lumière ancienne et douce survient.
Père
Barthélemy, merci pour ce soutien,
aux heures
sombres de la nuit !
Aujourd'hui, mon père, entre avec moi
dans ma maison.
Je te
montrerai les lettres des hommes
persécutés,
les
tourments de mon peuple.
Je te
montrerai sa longue souffrance.
Pour que je
ne tombe pas,
pour que je
poursuive la lutte,
mets en mon
coeur le vin qui t'a accompagné dans les
voyages
et le pain
si nourrissant de ta douceur.
Documentation, bibliographie
Montrez-nous des
chrétiens,
La Diffusion
Catéchistique - Lyon, Editions TARDY 1979, pages 22
à 25 (Bibliothèque Réseau
Pléiade)
Bartholomé de las
Casas, "Très Brève Relation de la
destruction des Indes", éd. La
Découverte / Poche. - 40 Fr / 6,10 euros
Bartholomé de las
Casas, "Histoire des
Indes", Seuil 2002, trois tomes, 1077 pages... Une oeuvre
monumentale sur les "Indes"
sanglantes.
Presse écrite : le
quotidien
Libération,
Jeudi 31
octobre 2002, rubrique "Livres", pages I, II et
III.
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