|
Les causes des
graffiti, "picturaux" ou "linguistes", sont nombreuses et
variées, à l'image de leur foisonnement sur
les murs... On peut les discerner d'après leur
contenu et tenter d'en esquisser
l'interprétation...
Le besoin
irrépressible de tracer autour de soi les marques de
son passage, quelques signes de vie, et d'abord pour
nous-mêmes remonte à la préhistoire...
C'est dire si l'appel vient de loin ! Pourtant les murs
d'aujourd'hui offrent au regard le même langage
schématique, les mêmes désirs ou les
mêmes rejets que les parois de l'âge
paléolithique, où se rencontrent, dans un
enchevêtrement parfois difficile à
débrouioller, animaux et symboles sexuels
parfaitement accessibles au regard et d'une stylisation
poussée à l'extrême...
Il est
d'ailleurs intéressant, ne serait-ce que sur le plan
d'une certaine sensibilité poétique ou, plus
prosaïquement, par simple humilité, de
rapprocher les conditions de réalisation de ces
"oeuvres" si éloignées par le temps : dans la
nuit des cavernes d'il y a 20000 ou 50000 ans et dans la
nuit des rues d'aujourd'hui, dans le silence et l'anonymat
des unes comme des autres, ce sont les mêmes mains qui
se tendent vers le support de pierre pour nous "donner
à voir", dans leurs multiples registres, les
résonances à la fois les plus
immédiates et les plus profondes de l'imaginaire et
de l'émotion, que la parole ne suffirait à
exprimer...
|
Dans ce type
d'expression, la liberté des dimensions, surtout
à une époque où l'écriture
"codée" n'existe pas encore, pallie efficacement les
déficiences du langage articulé, de la voix,
de la parole, pour dire "l'indicible", dans toute sa
profondeur, dans toute son épaisseur...
Aujourd'hui,
le graffiti "linguiste", cette parole qui s'inscrit en
prolongement de la voix, est évidemment le mode
d'expression le plus fréquent sur nos murs ;
désir de communication qui renverse les
barrières de l'interdit, il semble se situer à
l'opposé du graphisme préhistorique se
suffisant à lui-même...
Pourtant, il
joue un rôle identique à celui qu'on attribue
aux dessins et signes géométriques des
"premiers hommes" : cri de révolte contre le manque
de parole - et contre tous les "manques" de la parole,
l'inscription brise le silence qui étouffe et si,
contrairement aux graphismes du paléolithique, elle
offre d'abord à "lire" une parole, très vite
sa prolifération sur certains murs rend aux lettres,
aux mots, aux signes, aux "figures" utilisées selon
les normes du code social et linguistique en usage, toute
leur "plénitude" géométrique, au
delà du "sens" - mais qui parle à tous les
sens, exactement comme les graphismes du
paléolithique... C'est tout l'homme sur la pierre,
à coeur ouvert, au delà des mots, dans le
silence de ce qui s'offre au seul regard, en
supplément à la parole...
|
|
|
Sur les
vestiges d'un passé plus "récent", on peut
découvrir les inscriptions des premiers "touristes" :
ainsi les voyageurs romains en pèlerinage dans la
haute vallée du NIL, en EGYPTE, sont nombreux
à avoir éprouvé le besoin de graver le
souvenir de leur passage sur le socle et les pieds du fameux
colosse chantant de MEMNON,, à l'entrée de la
Vallée des Rois... On connaît l'histoire de cet
étrange phénomène "musical" :
endommagée par un tremblement de terre, au
début de notre ère, cette statue avait
l'habitude d'émettre un son plaintif à l'aube,
dès que les premiers rayons du soleil venaient
caresser le visage mutilé d'AMENOPHIS III ...
Bientôt de nombreux visiteurs, traversant la mer et
remontant le fleuve, vienret rendre un véritable
culte à la "statue parlante", rebaptisée du
nom grec de MEMNON, fils de l' AURORE et de TITHON, roi
d'Egypte et d'Ethiopie... Par les sons harmonieux que la
statue émettait au soleil levant, MEMNON, tué
par ACHILLE sous les murs de TROIE, voulait, d'après
la tradition, saluer sa mère... L'empereur HADRIEN
lui-même fit apposer, en l'an 130, sur l'une des
jambes du colosse, un long poème commémorant
son passage... Aujourd'hui encore on peut relever des
centaines de graffiti gravés sur le socle et les
pieds du monument par les pèlerins. La plupart des
signataires de graffiti étaient des militaires : "
Moi, Caïus Calpurnus Asper, centurion de la
vingt-deuxième légion, à la
deuxième heure, j'ai entendu MEMNON trois
fois."
De même
on a relevé deux mille graffiti de touristes antiques
dans les tombes de la Vallée des Rois : toutes
expriment l'admiration de leurs auteurs... ou presque... En
effet, certains, tels Hypatios ou Epiphane, ne
semblèrent trouver aucun charme à ces vestiges
pharaoniques ; tout au plus se laissèrent-ils
séduire par la pierre des montagnes... Mais ils ne
purent résister à la tentation de laisser une
trace écrite de leur
désenchantement...
En tout cas,
il est significatif qu'au pays des "dieux vivanrs", si
soucieux d'assurer leur existence dans l'au-delà, au
milieu de toutes les sculptures et peintures pharaoniques,
à ciel ouvert ou dans la profondeur sèche des
tombes royales, et quel que soit le sentiment "artistique"
et religieux éprouvé, les visiteurs du
début de notre ère, petits ou grands, venus
recueillir le chant de l'idole en pierre, aient ressenti le
besoin de "célébrer" leur passage,
officiellement, comme HADRIEN, ou "sauvagement", en un geste
spontané traduisant confusément le besoin de
"se survivre" par ces inscriptions, à l'entrée
de THEBES, la Cité des Morts...
Plus tard, au
16è siècle, d'autres promeneurs cherchant
quielque frisson, sans doute plus profane, dans les longues
galeries des grottes de Rouffignac, laissèrent des
traces écrites et datées de leur passage, sur
les parois rocheuses, parfois sur les dessins
eux-mêmes, sur les figures préhistoriques de
mammouths tracées au charbon de bois et qui ne
commencèrent à intéresser les
historiens qu'à la fin du 20è siècle
...
|