LA CROIX 21/02/2007
20:40
La singulière vocation des écoles catholiques
de Terre sainte
L'enseignement catholique
prépare des jumelages avec des établissements
catholiques palestiniens pour soutenir la population
chrétienne prise en otage dans le conflit
israélo-palestinien
" Urgence Jéricho. "
Ce n'est pas le titre d'un film
à sensation, mais celui d'une opération
lancée par l'enseignement catholique de Paris pour
venir immédiatement en aide à une petite
école de cette ville, au nord de la mer Morte.
Il y a là trois
franciscaines. À bout de bras, elles tiennent une
école de 670 élèves, avec 30
professeurs, et accueillent des familles à 83 %
musulmanes. " Dans notre
financement, il y a deux sources, racontent - elles, la part
des familles et la part de Dieu. Cette dernière ne
fait jamais défaut, celle des familles, oui...
"
Modestement, l'enseignement
catholique de Paris veut donc se joindre à cette part
de Dieu. " C'est la part des
dons, commente
Frédéric Gautier, le directeur
diocésain parisien. Nous
allons faire tout notre possible en lançant une
collecte de Carême dans les établissements
catholiques de la capitale. "
Autre mesure, cette école catholique de
Jéricho vient d'être " adoptée " : elle
figure symboliquement dans l'annuaire des écoles du
diocèse de Paris !
" Les
chrétiens ont le virus de l'émigration
"
Cette décision a
été prise la semaine dernière, en marge
du pèlerinage en Terre sainte conduit du 12 au 15
février par Mgr André Vingt-Trois,
archevêque de Paris. Parmi les 580 participants (lire
La Croix du 19 février), des membres de la direction
diocésaine de l'enseignement catholique,
mandatés par le secrétariat
général pour répondre à une
demande explicite du consulat général de
France à Jérusalem.
Celui-ci recherche
des partenaires
pour développer la francophonie en Israël et
dans les Territoires palestiniens. Or, les
établissements catholiques forment un réseau
d'une centaine d'écoles, collèges et
lycées, dont la moitié dépend du
patriarcat latin de Jérusalem, les autres, de
congrégations religieuses. Et ces
établissements sont implantés partout, en
Israël et dans les Territoires palestiniens, dans les
villes comme dans les villages les plus
reculés.
"
Nous travaillons pour la francophonie, témoigne un jeune franciscain, chef
d'établissement, mais sur
le plan religieux, nous assurons la présence
chrétienne. " Vocation
capitale parce que la population chrétienne frise
aujourd'hui les 2 %, alors qu'elle fut de 12 % après
la Seconde Guerre mondiale. " Les
chrétiens ont le virus de
l'émigration ", constate
le recteur du séminaire du patriarcat latin,
établi à Bethléem.
Cette ville de la
Nativité dont le maire est un chrétien aurait
ainsi perdu 4 000 chrétiens (sur 30 000 habitants)
depuis quatre ans. Ces derniers se trouvent pris entre
Israéliens et extrémistes palestiniens, depuis
qu'un mur a été construit par Israël pour
se protéger des attentats suicides, isolant de
façon hermétique les deux villes soeurs,
Bethléem et Jérusalem.
Loin du
paradis
Les chrétiens aiment
leur terre, mais leur vie est parfois devenue un enfer.
Considérés comme une élite parce qu'ils
ont accès à des écoles catholiques
d'une haute exigence, ils sont directement
préparés à une vie internationale, par
la connaissance des langues notamment. Et donc à
l'émigration qui est une tentation pour les
jeunes.
À l'école des
Soeurs de Saint-Joseph de l'Apparition, en plein coeur de
Bethléem, les élèves
répètent un acte de L'Avare de
Molière. En uniforme, robe écossaise rouge et
bleu, gilet assorti et col roulé blanc, elles vous
parlent de la Bretagne avec facilité et humour. Il
leur en faut. Leur vie quotidienne, derrière
l'impeccable tenue de l'établissement, n'a pas les
contours du paradis. Ainsi, les paroles de cette chanson
qu'elles ont apprise : "Nous ne
voulons plus la guerre, nous voulons que l'amour
règne enfin pour toujours, nous voulons que chaque
jour il y ait un peu moins de haine par
l'amour."
Le triste mur de
sécurité est effectivement à cinq
minutes et ces jeunes le ressentent fortement.
" Nous cherchons à chasser
leur souffrance, assure l'une des
soeurs responsables, avec des
activités qui leur donne de la vie, sinon elles sont
mortes. " Et
cloîtrées. La majorité dans la classe
n'a pas quitté la ville depuis plus d'un
an...
Souvent faute de moyens des
parents, puisque l'économie est en passe d'asphyxie
totale. Ainsi, plusieurs jeunes musulmanes &endash;
représentant 11 % des élèves de cette
école &endash; n'ont jamais vu, à 14 ans, la
grande mosquée de Jérusalem, distante de 12 km
! Dans ce contexte, observe une autre soeur,
" la connaissance du
français est un véritable coup de fouet pour
leur avenir ". L'une des
élèves ajoute : " Je
souhaite que le mur soit détruit parce que l'on est
comme dans une prison et, dans ce contexte, la culture
française est très importante pour nous ; elle
est riche, elle nous donne du rêve, des
émotions. "
Augmentation
nouvelle de la violence chez les jeunes
Ici, on survit plus que l'on
ne vit. Un peu plus haut dans la ville de la
Nativité, " le
collège de frères ", des lasalliens, accueille
45 % de musulmans. Dans l'une des classes, des enfants en
fin de primaire ont composé une chanson. Le refrain
est en arabe, Bidna naïch bi
salam ("Nous voulons vivre en paix"), les couplets, très courts, en
français : " Je rêve
de liberté... une vie moins dure... la
démolition du mur... voir enfin le monde entier...
nous voulons vivre et voyager... "
Michel Sansour, directeur de
l'établissement et psychologue de formation, note une
augmentation nouvelle de la violence chez ces jeunes, qu'il
attribue à des relations familiales de plus en plus
complexes, en lien avec la situation politique. "
Certains de nos
élèves sont traumatisés par les
incursions la nuit, des arrestations de membres de la
famille, des raids militaires. "
Rassurer, donc, éduquer
et, ajoute-t-il, dans un contexte musulman où
beaucoup pensent que l'Occident est corrompu,
" valoriser les valeurs
européennes, même si nous ne sommes pas
à l'aise en tant que chrétiens, coincés
entre l'occupation et le fanatisme. "
"À la
place du mur, nous cherchons à construire des
ponts"
Il conclut : " À la place du mur, nous cherchons vraiment
à construire des ponts. " Et de citer ces trois familles musulmanes
d'Hébron qui accomplissaient chaque jour un long
trajet pour venir dans cette école. Pourquoi ? La
réponse des parents est sans équivoque :
" Nous avons entendu dire que
cette école enseigne la tolérance, nous ne
voulons pas une école qui enseigne le fanatisme.
"
De nationalité
jordanienne, le P. Magdi Syriani a laissé une belle
situation aux États-Unis où il était
juge pour devenir prêtre et se mettre au service de la
Terre sainte. Il supervise les 45 établissements qui
dépendent du patriarcat latin de Jérusalem.
Ces deux écoles catholiques de Gaza, par exemple,
accueillent 85 % de musulmans.
"
Nos écoles reflètent la structure sociale des
villes et des villages,
insiste-t-il. Les chrétiens
font partie de l'identité de ce pays, mais notre
propos n'est pas de constituer des ghettos qui les
aliéneraient, il est au contraire de préparer
les jeunes. La foi chrétienne a commencé ici,
nous ne pouvons pas accepter qu'elle puisse un jour finir
ici. "
Jean-Marie
GUÉNOIS, à Bethléem
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