L I B A N

Éclairage

Entre les chiites et les sunnites, les chrétiens un facteur d'équilibre ?

L'éclairage de Scarlett Haddad / L'Orient-le-Jour du Samedi 25 octobre 2008

 

Même divisés, les chrétiens peuvent jouer un rôle important dans la vie politique, ne serait-ce que pour éviter le tête-à-tête explosif entre sunnites et chiites.

Alors que tous les pronostics annoncent une féroce bataille électorale dans les circonscriptions chrétiennes, qui, dit-on, sera décisive pour faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre, la question du rôle des chrétiens dans la structure du pouvoir se pose de plus en plus.

Divisés, partagés entre deux camps totalement opposés, localement et internationalement, butant sur une réconciliation de plus en plus difficile, les chrétiens n'ont pourtant jamais été autant sollicités par leurs autres partenaires au sein du pays. Aujourd'hui plus que jamais, ils sont considérés comme une nécessité par les musulmans, sunnites ou chiites. Partagés globalement entre Amal et le Hezbollah, les chiites sont dans leur ensemble particulièrement convaincus de la nécessité de préserver, voire de renforcer, le rôle politique des chrétiens.

Selon un cadre responsable au Hezbollah, le poids des chrétiens est une bénédiction pour le parti car il lui permet d'éviter un tête-à-tête dangereux avec la communauté sunnite. Dans la situation de tension actuelle entre les deux grands camps musulmans, et notamment entre le bloc sunnite du Golfe et la puissance régionale chiite que constitue l'Iran, un tel tête-à-tête peut déraper à tout moment. D'autant, selon le haut responsable du Hezbollah, que les États-Unis n'ont pas abandonné leur politique de semer la discorde entre les sunnites et les chiites dans le but d'affaiblir les musulmans en général et de les détourner de la lutte contre Israël. Surtout que ce pays est lui-même affaibli depuis la guerre de juillet 2006 par ses propres divisions internes.

Le cadre du Hezbollah explique que son parti tient à renforcer le rôle des chrétiens car il n'a pas de projet pour prendre le pouvoir au Liban. Ni le 7 mai, ni avant, ni après, il n'a planifié de prendre le pouvoir, mais il est convaincu que les chrétiens peuvent jouer un rôle plus important comme facteur d'équilibre entre les sunnites et les chiites.

Le haut responsable du Hezbollah ajoute aussi que l'alliance de son parti avec le CPL s'inscrit dans la stratégie. Il ne s'agit donc pas d'une simple tactique électorale ou provisoire, mais d'un choix sur le long terme qui porte sur les fondements mêmes du pouvoir au Liban et qui préfère un pacte équitable à un duo conflictuel. Selon le haut responsable du Hezbollah, les chrétiens du Liban ont longtemps eu des réticences à l'égard du monde arabe, rejetant à certains moments l'arabité du Liban et, à d'autres, nouant des alliances avec l'Occident, allant même parfois jusqu'à établir des contacts avec Israël. Pour toutes ces raisons, il y a eu souvent une certaine méfiance envers les chrétiens de la part des autres communautés du pays, notamment les chiites. Toutefois, l'entente entre le CPL et le Hezbollah a permis d'assainir les relations entre les deux camps et d'ancrer la position d'une grande partie des chrétiens aux côtés de la résistance contre Israël. La position, qualifiée d'historique par le cadre du Hezbollah, du général Michel Aoun pendant la guerre de juillet 2006 a permis de placer les chrétiens du Liban à la tête du courant arabe nationaliste, au pays et dans le monde arabe, à partir du moment où ils ont appuyé et protégé la Résistance contre Israël. Pour le Hezbollah et, avec lui, pour tous ceux qui placent la lutte contre Israël en tête de leurs priorités, il n'y avait plus aucune ambiguïté dans l'attitude et le choix des chrétiens et, selon le cadre du Hezbollah, la voie est ouverte devant eux dans l'ensemble du monde arabe, où le besoin d'une force d'équilibre pour réduire le danger que représentent les groupes islamistes extrémistes se fait plus que jamais sentir.

Étant les plus nombreux et les plus en mesure de jouer un rôle au sein du pouvoir dans leur pays, les chrétiens du Liban sont les seuls dans la région à être en position de donner l'élan à un rôle accru des chrétiens d'Orient. Selon le cadre du Hezbollah, la visite de Michel Aoun en Iran est le début de cette nouvelle ligne stratégique de renforcement du rôle des chrétiens dans la région. Il a commencé par se rendre en Iran, où les chrétiens ont des représentants au Parlement, mais il devrait aussi se rendre dans d'autres pays où les communautés chrétiennes existent et attendent des encouragements.

Le responsable du Hezbollah est persuadé que plus les chrétiens tiennent un discours arabisant et plus ils augmentent l'importance de leur rôle dans la région. D'autant que l'arabité d'aujourd'hui ne fait plus peur comme c'était le cas dans les années soixante et soixante-dix, la plupart des régimes arabes ayant perdu leur volonté expansionniste et s'étant repliés sur eux-mêmes. Les chrétiens peuvent donc être le fer de lance d'un nouveau courant de modération ancré dans la région, tout en demeurant rassurants pour les musulmans. Selon lui, le général Aoun a compris cette vision stratégique et cherche à l'appliquer. La visite du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, en Égypte pourrait aussi s'inscrire dans ce cadre si elle n'avait pas été, selon lui, essentiellement dictée par la volonté de ternir celle du chef du CPL à Téhéran et arrangée, selon ses informations, à la demande de l'administration américaine... Elle est donc, dans son analyse politique, une simple tactique, mais un jour, lorsque les divisions actuelles seront surmontées, les chrétiens pourraient reprendre l'initiative politique.

Intox ou véritable conviction ? Réponse après les élections législatives.